A l’heure où notre société semble osciller entre le cauchemar de Huxley et la dépression de masse de Houellebecq, nous croyons dans la capacité des citoyens à créer les conditions de leur bonheur en suscitant une société de la rencontre, du lien et de la solidarité. Convaincus de partager avec d’autres cette confiance en l’homme, nous voulons contribuer au débat au sein du Parti Socialiste pour replacer la personne au cœur du débat politique et de l’action.
Face à la « crise », l’aspiration à un bonheur nouveau.
Un profond pessimisme règne dans notre société. Il se nourrit de constats anxiogènes. Depuis la fin des années 1980, les inégalités économiques explosent et l’emploi se précarise. Le taux de pauvreté a augmenté de 20% depuis 2002. La gestion des ressources naturelles, aujourd’hui encore irresponsable, a des conséquences environnementales et humaines qui appellent des réponses urgentes. Surtout, le lien social s’effrite, qui conduit à un sentiment d’isolement grandissant et à un repli communautariste. En 2010, 45 % des habitants des grandes villes affirmaient souffrir de la solitude. Les actes de violence, et particulièrement les actes à caractère raciste et xénophobe, augmentent depuis 2005 et ont connu une véritable flambée en 2009.
Nous croyons que les crises d’aujourd’hui – crise économique, écologique et sociale – expriment dans leurs divers aspects l’épuisement profond d’une société qui ne croit plus dans la conquête collective du bonheur. Nos contemporains doivent se rendre à l’évidence : le fantasme individualiste et le consumérisme illimité sont impuissants à générer l’épanouissement personnel et l’harmonie sociale. La question fondamentale est la suivante : quels sont aujourd’hui, et quels seront demain, les ressorts profonds de notre société, ses motifs de mobilisation, ses finalités ? Chacun de nous a fait l’expérience de la joie que procurent les relations d’entraide et en particulier le temps passé auprès des plus vulnérables, qu’il s’agisse des plus jeunes ou des plus âgés, des personnes handicapées, des proches traversant une période difficile, ou même de ceux que nous ne connaissons pas. De cette expérience est née l’intuition fondatrice de notre mouvement : nous ne devenons véritablement humains que dans la relation à l’autre, en nous reconnaissant comme responsables les uns des autres. Selon la formule de Martin Buber, « au commencement est la relation ». De cette intuition découle une exigence politique impérative : c’est dans une société permettant la rencontre, le lien, et en définitive la solidarité la plus concrète que sera ouverte à chaque personne la possibilité de réaliser pleinement son humanité. Si nous poussons cette intuition à l’extrême, nous devons affirmer que la mise à l’écart ou l’abandon d’une seule personne affaiblit le corps social tout entier. Le rôle de l’Etat s'en trouve transformé : la première de ses missions doit être de permettre à l’homme de réaliser son aspiration profonde à vivre en société. Dès lors, l’Etat n’est plus la superstructure chargée de protéger les hommes les uns des autres, de toujours plus isoler des individus, comme pour préserver le pré carré de chacun. Il œuvre au contraire à rapprocher les personnes, à créer des liens entre les plus démunis et les plus aisés, à ouvrir à chacun la voie de son humanisation dans la relation à l’autre. Le rôle du politique est de chercher avec obstination l’avènement de cette société du lien social, fondement de la confiance et de l’esprit d’entreprise. Notre positionnement n’est pas nouveau. Il s’inscrit dans l’histoire, parfois méconnue, de la gauche française. Nous suivons la réflexion de grands auteurs qui avant nous considéraient que l’homme s’humanise dans sa relation à l’autre. Le courant personnaliste, auquel a fortement contribué le philosophe français Emmanuel Mounier au milieu du 20ème siècle, nous inspire comme il a déjà inspiré nombre d’hommes politiques de gauche.
De l’intuition à l’action : notre volonté de contribuer au débat au sein du Parti Socialiste
Cette inspiration personnaliste nous donne une grille de lecture politique : chacune des décisions prises par la puissance publique, à quelque niveau que ce soit, doit contribuer au respect de l’égale dignité de chaque personne, et, de façon absolument prioritaire, à la protection des plus vulnérables. Intimement persuadés de l’urgence qu’il y a à agir dans ce sens et laissant de côté l’illusion de changer les choses en devisant entre semblables aux portes de nos écoles ou dans le seul engagement associatif ou professionnel, nous décidons de nous engager et d’agir au sein de la gauche. Nous partageons avec le Parti Socialiste la confiance dans les principes démocratiques et dans l’efficacité du politique pour répondre aux vrais besoins collectifs. Nous croyons dans la vertu de la délibération pour la recherche du Bien commun. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas pour l’homme de destin défini à l’avance et que notre avenir sera ce que nous en ferons, collectivement, et non le résultat d’un programme décidé ailleurs ou dicté par les marchés financiers. Avec le Parti Socialiste, nous croyons en l’économie de marché, par définition normée et régulée afin de susciter la confiance entre les acteurs, qui est le fondement principal d’un système efficace et vertueux susceptible d’encourager l’esprit d’entreprise et d’association. Notre adversaire est l’idéologie libérale. Comme le dit Emmanuel Mounier, elle fait de chacun de nous un « homme abstrait, sans attaches, dieu souverain au cœur d’une liberté sans direction ni mesure, tournant d’abord vers autrui la méfiance, le calcul ou la revendication », qui nous réduit à l’état de « particules élémentaires » pour reprendre l’expression prophétique de Michel Houellebecq. Nous refusons ce système qui instaure la prédominance systématique des intérêts économiques sur les intérêts humains en imposant comme critères essentiels de toute décision la rentabilité et la performance, qui réduit la valeur des personnes à une valeur marchande. Avec le Parti Socialiste enfin, nous voulons répondre aux appels de Jules Ferry, de Jean Jaurès, de Léon Blum ou de Pierre Mendès France. Nous adhérons aussi à la manière d’agir et d’écouter de grands précurseurs comme Frédéric Ozanam, Robert Schuman ou l’Abbé Pierre. Pour autant, nous ne sommes pas naïfs, et acceptons d’emblée le fait que notre désir de changement se heurtera aux limites de l’action politique. C’est donc ensemble, avec enthousiasme et lucidité, que nous décidons de nous engager au sein d’un parti dont nous accepterons certaines contraintes, afin de devenir un mouvement de gauche qui compte et que l’on écoute, et non de nous faire élire ou d’accéder immédiatement à des postes de responsabilité. Au Parti Socialiste, la relève nous semble prometteuse et nous souhaitons nous engager à ses côtés pour revenir aux fondements d’une gauche authentiquement libre, solidaire et confiante.
Nous sommes convaincus que notre engagement permettra à un parti en quête d’un nouveau souffle de renouer avec les valeurs de ses origines. Avec la victoire de François Hollande et les derniers succès électoraux, la voie est ouverte au changement. Le PS ne peut pas demeurer en effet un parti « libertariste », simple distributeur de droits, sinon il échouera à demeurer un parti « socialiste », au sens d’un parti réalisant la société et créant du lien. Prenons donc garde aux mesures présentées comme des avancées sociales, qui pourront être source d’injustice pour les plus fragiles d'entre nous.
Notre vision pour l’économie et la société
En économie, pas de fatalité !
Les réponses économiques que nos précédents dirigeants proposaient d’apporter à la crise nous étaient présentées comme les réponses du bon sens, les seules possibles. Leur credo : « il n’y a pas d’alternative ». Aujourd’hui s’élèvent pourtant les voix de nombreux économistes, qui nous rappellent qu’en économie non plus, il n’y a pas de fatalité. Que le pouvoir politique, donné par le peuple à ceux auquel il a fait confiance, est légitime à s’imposer aux marchés lorsque leurs logiques deviennent contraires à la société que nous voulons. Que la politique de l’austérité culpabilisante et menée sans discernement risque de déprimer durablement nos économies, et que des réponses au problème réel des dettes publiques peuvent être trouvées dans la monétisation ou la réforme des banques centrales. Que la créativité n’est pas un crime en matière économique, mais un atout, surtout s’il vise à redonner le goût d’entreprendre au plus grand nombre.
Pour une société désirable…
Dans le domaine éthique, nous nous opposons au dogmatisme, de quelque courant qu’il soit, mais consistant à chaque fois à considérer que la réponse aux questions dans ce domaine relève de l’évidence. Nous pensons que les questions qui ont directement l’homme pour objet méritent une réflexion de fond, au-delà des clivages partisans, et non des réponses dictées par une logique électoraliste. Par conséquent, pour chaque « question de société », il est temps de nous demander : participe-t-elle à construire une société du lien et de la confiance que nous serons fiers de léguer à nos enfants ? Nous ne pouvons pas désirer un système qui laisse de côté ses anciens, qui n’accueille pas le handicap et poursuit insidieusement un idéal eugéniste, une société dans laquelle l’éclatement systématique des familles crée l’isolement et la solitude, en particulier dans les grandes villes. Ce ne sont pas les choix individuels que nous condamnons, mais l’absence de liberté de conscience qui touche ceux qui les prennent au moment où ils les prennent. Tout en étant conscients des grandes difficultés liées à l’accueil du handicap et des moyens financiers et psychologiques qu’il exige, le fait, par exemple, que 96% des bébés diagnostiqués trisomiques soient aujourd’hui avortés en France ne peut nous laisser indifférent. Les conditions économiques et sociales pour que toutes les femmes prennent leur décision en toute liberté de conscience sont-elles en place ? Dans cette optique là, c'est-à-dire toujours d’après le point de vue de l’avenir et des droits de l’enfant, il faudra examiner les enjeux de l’adoption par des personnes du même sexe. Pour chaque question, nous voulons réintroduire une forme de « conversation » démocratique, qui prenne le temps de l’examen et de la délibération, où les citoyens sont de véritables « contributeurs ».
Aujourd’hui en France, le débat est piégé par les préjugés et les procès d’intention et ne cherche pas à tirer parti des désaccords. Enfin, il faudra regarder en face la réalité de nos rues, celle de nos prisons, celle de nos hôpitaux, de nos écoles, de nos « ghettos », de nos centres de rétention ou même de nos préfectures, en considérant que l’isolement et l’exclusion ne sont pas des processus naturels, mais qu’ils sont toujours la conséquence de déséquilibres dont nous sommes la cause. En somme, être progressiste en matière éthique ne consiste pas à octroyer toujours plus de « droits » mais, en un domaine où la dignité humaine est en jeu, veiller à n’être guidée que par la recherche de justice sociale et de liberté, conçue comme pouvoir d’agir en homme responsable. « Pas de confiance sans croissance et pas de croissance sans confiance » disait François Hollande. Nous ajoutons que la confiance doit tenir sur ses deux jambes : la refondation économique et l’éthique sociale, sans laquelle il sera impossible de penser collectivement la transition du modèle de croissance qui sera par essence un modèle plus coopératif. Ce serait prendre enfin à la lettre la formule du « rapport Wresinski », de 1987 : « Considérer les progrès de la société à l’aune de la qualité de vie du plus démuni et du plus exclu, est la dignité d’une nation fondée sur les droits de l’Homme ».