Interview de Jean-Charles Hourcade dans le cadre du rapport la crise écologique, une chance pour la démocratie
Diplômé d’HEC, docteur en Sciences Sociales, docteur d’Etat en Sciences Economiques
Directeur de Recherche Emérite CNRS, Directeur d’Etudes Emérite EHESS
Directeur du CIRED (Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement laboratoire commun CNRS, EHESS, ENPC, Agroparistech, CIRAD) de 1985 à 2012
Co-Directeur de la Chaire de Modélisation Prospective pour un Développement Durable commune à l’Ecole des Mines de Paris et à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées
Coordinateur de chapitres pour les 2° et 3° rapports du Giec (1995 et 2001), auteur principal pour les 4° et 5° (2007 et 2014) rapports, auteur principal du Rapport 1°5 C (2018)
participants : R Baillet, M Simonnet, B du Marais, P Dunoyer, P Obert
Sur la situation
JCH souligne d’abord que bâtir un discours politique en intégrant les défis climat/écologie ne peut se faire sans prêter attention aux liens entre la médiatisation des controverses scientifiques et la façon dont les enjeux sont pris en charge dans la délibération publique (de quoi parle-t-on vraiment ? quelles sont les positions en présence) et décisions publiques.
La crise du covid-19 vient de rappeler l’importance de ces liens. Ils installent un ‘lexique’ qui va influer sur la polarisation des ‘opinions’, ‘l’atmosphère’ des débats, leurs non-dits, et déterminer notre capacité à faire émerger des compromis à travers les débats politiques.
Juste avant le Covid, le débat sur le climat fut marqué par la réception du rapport 1°5 C du Giec. Dans un contexte où les USA et le Brésil sortaient de facto ou de jure de l’Accord de Paris, où la Russie, l’OPEP et l’Australie en faisaient une interprétation a minima, et où les pays en développement attendaient le règlement des questions de financement pour s’engager sur des politiques concrètes, la figure de Greta Thunberg a été mise en avant dès la COP de Gracovie puis aux Nations-Unies pour masquer un hiatus évident. Interpellant les gouvernements sur mode ‘le GIEC dit que’ elle a imposé un ‘lexique’ largement repris. Ainsi la première réaction de Pascal Canfin fut « le GIEC nous dit que les solutions sont sur la table, aux gouvernements d’agir ».
Ce lexique joue sur la bataille politique. Si les solutions sont vraiment sur la table, ‘d’où vient la mauvaise volonté des gouvernements, de l’Europe, de la BCE ?’. Cela conduit aux manifs-des jeunes pour le climat qui, en ignorant les ‘gilets jaunes’ ou d’autres secteurs de la société, perçoivent l’urgence climatique mais peuvent déboucher sur une recherche (positive) de modes de vie ‘sobres’, un désarroi face au constat d’impuissance, à une idéologie de la décroissance, ou à extinction-rébellion (même mécanisme que le gauchisme post 1968). A l’autre bout du spectre, il y a les ‘sceptiques’ qui voient dans tout ça une bulle spéculative dont il faut attendre la fin ou les ‘résignés’ qui se disent qu’avec les réflexes ‘gilets jaunes’ le mieux à faire est d’attendre .Entre les deux il y a les ‘réalistes’ qui gèrent l’opinion, ont installé (en Europe surtout) l’écologie au cœur d’alliances à géométrie variable au risque d’un écart croissant entre annonces et réalité, et les ‘militants’ (EELV, partis de gauche, mouvements, associations) dont on a vu la percée aux municipales mais qui n’ont pas de débouché politique et travaillent sur des thématiques de terrain en faisant un lien souvent assez rhétorique avec les enjeux globaux. Cette configuration doit être changée, surtout dans un contexte post-COVID
JCH rappelle alors les données de base qui permettent de sortir de ce qu’il ressent sur comme un terrain miné de malentendus :
- La notion d’urgence face à la catastrophe climatique:
- le changement climatique est essentiellement un problème de stock accumulé et, à trente 30 ans tout est déjà joué (horizon 2050). On sera inéluctablement au-delà de 1°5 C qu’on fait encore parfois semblant de croire possible dans certains discours. Les efforts actuels les plus drastiques feront que décaler que de trois à cinq ans les températures de 2050. L’enjeu, c’est au-delà pour que ça ne dérape pas avant la fin du siècle vers des hausses de températures à +5° C . Il faut en fait lancer dès aujourd’hui des changements structurels (y compris de comportement) pour incurver les émissions fortement dans 20 ans. L’urgence est là et tout retard se paiera cher. En revanche, si les réductions d’émission à court terme ne sont pas négligeables, il ne faut pas se faire d’illusion sur leur impact sur le réchauffement. De ce point de vue, à court terme, beaucoup plus se joue sur les bifurcations que prennent les pays en voie de développement. Ils sont en train de construire les 2/3 de leurs infrastructures (partage route/rail/avion) et leurs couches moyennes peuvent accéder soit à l’US way of life soit à un style de consommation plus intelligent (cf la montée de l’obésité comme symptôme de ce qui se passe.
- Ce que ‘dix ans pour agir veut dire’: le ‘champs sémantique’ qui s’est imposé dans les médias, certaines forces militantes et les discours politiques sur l’urgence de l’action et qui conduit à un flot d’injonctions (souvent impuissantes) vient de l’interprétation erronée des graphes ci-dessous :
Ces graphes ont été faits ‘sur commande’, au grand regret des scientifiques (il n’y a que 4 équipes qui ont accepté d’y participer sur une communauté de 40 à 50 !!!), suite à un lobbying d’ONG (greenpeace utilisant les ‘small islands’ par exemple) qui a impressionné Hollande et débouché sur une ‘commande au Giec’. Ils ne disent ni :
- qu’il n’y a que dix ans pour éviter la catastrophe ! il n’y a pas « d’ effet Falaise », c’est à dire d’effondrement au-delà. Les différences d’impacts entre 1 °5 C et 2° C sont réelles mais absorbables. Par contre, il y a des points de bascule dans un monde à 4°C et plus. Avec des gens de bonne volonté, un monde à + 2 degrés est vivable si on s’y prépare par des politiques d’adaptation. Au-delà de 3°C on est dans l’inconnu. Le problème est qu’aucune autorité politique n’a le ‘bagage intellectuel’, la ‘capacité rhétorique’ d’expliquer que a) il importe de déclencher immédiatement une transition en matière d’énergie, de transport, d’habitat, de dynamiques urbaines et d’agriculture b) il est contreproductif de mettre des ‘cibles quantitatives’ à atteindre dans 20 ou 30 ans long terme parce que, si cela permet des ‘affichages’ un volonté d’agir, cela crée des faux espoirs, des frustrations puis des défiances et parfois des désespérances conduisant aux croyances catastrophistes lorsqu’on constate d’écart permanent entre affichage et réalité c) qu’en revanche il faut que les évolutions structurelles soient organisées et financées de telles façon qu’elles permettent de répondre mieux aux urgences telles que les vivent les gens et qui concernent l’emploi, la croissance de la pauvreté ou la qualité des services publics. Il faut, comme le dit le GIEC d’ailleurs, réunir les ‘enabling condictions’, mettre tout un chacun en capacité de se mobiliser sur des enjeux planétaires de LT parce qu’il se sent plus confiant sur son avenir proche
- ni que les solutions sont sur la table ! parmi les ‘enabling conditions’ listées par le GIEC, il y a le fait que les prix du carbone devrait être de 400 €/t dans tous les pays du monde, y compris le Bengla Desh, l’Inde ou la Guinée, et que si par hasard ce prix devrait être trop cher pour ces pays, les pays riches devraient procéder à d’immenses transferts compensatoires en direction des pays en développement. …
Puis JCH passe à l’échelle internationale en rappelant que l’Europe ne représente que 11% des émissions mondiales de carbone. Si elle a sa part à faire dans les réductions d’émission, son rôle principal et d’aider à une coalition avec les pays du sud (Chine, Inde, Amérique latine, Afrique) puis les USA sur les enjeux climatiques. Cette coalition ne se fera pas, l’échec de Kyoto a bien montré pourquoi, sur un mode « comment on partage équitablement le gâteau des émissions compatibles avec 2°C mais « comment on peut s’entraider pour que vous sortiez de la pauvreté, que vous remplissiez les/vos objectifs de développement durable, qu’on crée des emplois chez nous tout en évitant que vous bifurquiez vers des modes de développement intensifs en carbone.
L’enjeu est donc financier et le nœud du problème est de remplir l’engagement pris à Copenhagen de 100 milliards de dollar par an de transferts Nord-Sud engagement confirmé par l’accord de Paris. Bien évidemment on voie immédiatement les difficultés de réaliser ces transferts par voie de ‘subventions’ payées par des contribuables du ‘Nord’. En fait pour trancher ce nœud gordien, il faut changer les termes du débat sur les ‘responsabilités communes mes différentiées’ en matière climat et l’élargir à celui des lignes de faille de l’économie mondiale. Cela concerne nos engagements vis-à-vis du Sud mais aussi le Green Deal Européen … et nos politiques nationales.
En fait on peut montrer que les investissements pour la transition climatique peuvent aider à sortir du piège dans lequel est tombé l’économie mondiale avec la coexistence d’un énorme déficit d’investissement sur des infrastructures de long terme et un énorme stock d’épargne que les fonds de pension et gestionnaire d’actifs préfèrent investir sur des projets de court terme (5 à sept ans), des produits spéculatifs ‘liquides’, l’immobilier et le foncier. Ce gap entre épargne et investissement vient du risque que l’on prend, si on est financier, en plaçant l’épargne dans des entreprises soumises à la dictature de la valeur boursière ? Cette dictature s’est établie vers 1998 après une transformation des règles comptables et la prise en compte de la ‘fair value’ qui permet de réévaluer un actif dans un bilan en fonction de sa valeur de marché immédiate. En dehors du détournement de l’épargne de l’investissement productifs cela crée des cycles financiers longs et sans boussole (telle valeur est à la hausse donc j’en achète) et qui se retournent très vite quand l’ambiance se retourne.
Faut-il une révolution du système financier pour soutenir la transition ? oui et on. Oui sur dix ans, non parce qu’on peut lancer des réformes immédiates qui prépareront cette révolution. En fait l’essentiel repose sur la réhabilitation du rôle des Etats, une transformation de leurs modalités d’intervention à l’échelle nationale et transnationales et … des revendications vis-à-vis des Etats. Un point central à avoir en tête en effet est que, ce n’est pas l’argent qui manque mais l’absence de projets. Et cette absence est due à des contraintes organisationnelles, à des manques de compétences, à des incertitudes sur les résultats et à des coûts de transactions au moins autant qu’à des paramètres économiques. Ce sont les obstacles majeurs à la rénovation thermique en France tout autant qu’au déploiement du solaire en afrique (excellents travaux dans le monde des banques de développement qu’on gagnerait à mobiliser … y compris en France).
- la clef est de ‘dé-risquer’ les investissements bas-carbone pour faciliter les prises d’initiatives des acteurs ‘de terrain’ (collectivités locales, entrepreneurs privés, coopératives etc …) et leur attractivité pour les investisseurs financiers de façon à ce qu’ils réorientent la très forte capacité d’épargne existante.
- Cela ne peut passer que par des garanties publiques qui ont pour avantages par rapport aux subventions. Le premier, dans le contexte actuel de tensions sur les budgets publics surtout en période post-Covid où les choix de sacrifier l’économie (et les jeunes !!!) va se traduire par une demande d’endettement pour assurer la subsistance des chômeurs), est qu’elles ne sont payées qu’en cas d’échec des projets. L’expérience montre qu’on peut avoir un effet levier qui peut aller jusqu’à 16. Le deuxième avantage est d’éviter a) les effets d’aubaine des subventions puisque c’est un mécanisme de partage des risques où le privé prend sa part b) les alea sur le maintien des subventions
- Il faut que les dispositifs de garanties :
- Prévoient des évaluations Tiers-Parties des projets pour assurer leur crédibilité avec des règles communes minimales d’évaluation de leur viabilité économique, de leur contribution sociale et des ‘économies d’émissions’ qu’ils permettent selon les secteurs et régions concernés
- Calibrent les garanties sur une même valeur de « la tonne d’émission évitée » qu’on peut tirer sans problème des scénarios recensés par le Giec. Un grand intérêt de ça (cela paraît technique mais c’est essentiel) est que les valeurs du carbone montant dans le temps elles contrebalancent l’effet désastreux des taux d’actualisation sur les investissements de long terme
- Les dispositifs de garanties doivent permettre l’émergence de ‘tiers financeurs’ associant collectivités territoriales, agences publiques, entreprises privées et investisseurs institutionnels de façon à prendre en charge des coûts de transaction qui bloquent les projets, la maîtrise d’ouvrage et la recherche des meilleures sources de financement, y compris, au-delà d’un certains seuils en recourant aux marchés obligataires. Noter ici que les collectivités locales peuvent elles-mêmes intervenir en ‘mettant de l’argent’ et/ou via des garanties complémentaires à celle de l’Etat
- Mettre en place ce type de dispositif pour le Green Deal Européen et un Fonds multi-souverain de Garanties publiques sous l’égide du Fonds Vert pour le climat de l’ONU (proposition en cours par le GCF) pour réunir une coalition Nord-Sud
Très vite, une étape de plus devrait être franchie en certifiant ces projets pour qu’il puissent rentrer comme actif à la valeur de leur contribution carbone dans les bilans des acteurs mobilisés, de banques que leur auront prêté et, à terme des Banques Centrales. Ce serait un début de révolution du système financier puisqu’on lui fournirait la boussole qui lui manque, la valeur que nous attachons à protéger le climat !!!
Tous ces éléments sont plus pertinents que jamais dans la période post-Covid. Cette période en effet va se traduire, sauf sortie rapide (fin Octobre) de la logique de la ‘Grande Peur’ pour protéger le système de santé, par une crise énorme contre laquelle aucun ‘Green Deal’ européen ne pourra lutter à temps pour la raison simple que notre réaction (celle des pays du Nord) va provoquer un choc sans précédent dans les pays du ‘Sud’, ceci pour deux raisons principales :
- La première est qu’en bloquant les chaînes logistiques dans le monde on va augmenter de plus de 200 millions le nombre d’humains sous pression de famine dont un nombre de morts supérieur aux 2 millions qu’on aura au maximum avec le COVID (on est à un million au moment au j’écris) et un nombre encore supérieur d’enfants souffrant de ‘séquelles’ qui les poursuivront toute leur vie
- La deuxième est que des dizaines de pays en développement vont être dégradés en BBB voire moins par les marchés des capitaux. Les investisseurs institutionnels sont en train de se retirer de ces pays jugés peu sûrs. Or, ces pays, s’ils peuvent, comme nous émettre des dettes en monnaie nationales vont être très vite privés de devises internationales puisque les investissements étrangers se tarissent. Bien des Etats vont être fragilisés ce qui va avoir de fortes retombées sur nos économies (et la structuration des discours politiques)
Or la transition climat, appuyée par le dispositif que je viens de décrire, peut contribuer à briser ce piège en restaurant un flux de capitaux sur les investissements d’infrastructures au Sud. C’est bon pour le climat, pour la stabilité mondiale et, à court terme pour nos exportations. Politiquement, c’est une façon de restaurer la confiance dans la coopération multilatérale et de pousser les Banques Multilatérales et les Banques Nationales de développement à une coopération qui fait défaut aujourd’hui. Leur ‘puissance de feu’ est importante (de 15 à 20% de l’investissement mondial). On doit utiliser le même type de dispositif pour le ‘Green Deal’ européen (la BEI y est prête) ce qui permettrait d’organiser des flux de capitaux entre pays sans tomber dans la répétition des débats entre ‘cigales’ et ‘fourmis’ puisque les garanties ne sont pas des subventions mais un outil de réorientation de l’épargne privé (le ‘sage’ néerlandais qui ne veut pas prêter aux grecs ou aux espagnols leur transfèrera des fonds en achetant des obligations AAA émises sur des projets d’énergies renouvelables ou de rénovation énergétique).
Mais il faut faire attention à ce que la pression politique pour des garanties multi-souveraines ne souffre pas de la mise en scène de débats et pressions politiques sur des taxonomies censées pousser les Banques Centrales et les investisseurs institutionnels à verdir leur portfolio. Le problème est que ralentir les prêts aux activités carbonées ne garantit pas plus d’investissements sur les options décarbonées, surtout dans les pays en développement (on pourra investir dans l’IT, la santé, la culture … et l’immobilier !!!).
Il faut veiller à ne pas se laisser distraire par la répétition de faux débats entre politiques ‘orthodoxes’ vs ’hétérodoxes’ débat commode où les rôles sont bien campés. On aura quoi qu’il arrive des dettes publiques énormes via un ‘quantitative easing’ qui ne dira pas son nom. L’essentiel réside dans a) la réorientation de l’épargne (en fait l’épargne des ‘riches’, des couches moyennes qui auront résisté à la crise et que consommeront moins par peur) est plus décisive que jamais et b) la qualité de l’utilisation de l’argent et des projets financés, donc des acteurs impliqués au plus près du terrain et de la réalité des secteurs.
Du point de vue de l’équation Ecologie-Démocratie
JCH souligne deux problèmes distincts :
- celui de l’interprétation des données scientifiques. Les COP sont devenues, selon lui, des théâtres médiatiques. (Il y a trois cercles de participants : les délégués des gouvernements, ceux des organisations non gouvernementales, les médias ; la délégation française comptait à l’origine 21 membres, elle en compte désormais plus de 200). Dans ces théâtre médiatiques, Greta Thunberg en est l’exemple iconique, se développe une instrumentalisation de la science par des groupes divers qui fait perdre à l’opinion publique le fil de la réalité des enjeux. Ce brouhaha est commode pour masquer la réalité des obstacles politiques précis qui bloquent les solutions. On laisse s’exprimer ‘le camp du bien’ dans une expression tellement a-politique qu’elle permet toutes les diversions.
Ceci a un impact important sur la prise de conscience par l’opinion publique de la réalité des vrais enjeux (pas d’effet Falaise ; urgence de réorienter dès maintenant notre épargne et dde nouveaux outils, organisation d’un transfert financier pour réaliser le Green Deal européen, urgence d’un accord Nord-Sud), la structuration ou déstructuration du débat politique, la mobilisation ou la démobilisation ‘citoyenne’. On assiste à la multiplication de postures à la Greta Thunberg : ‘la science dit que’ donc qui déforme ce que dit vraiment la science, et en tire des messages idéologiquement biaisés (le cas du lien consommation de viande -> climat en est un exemple) et des postures par interdits et injonctions porteuses de division, d’échecs et de frustration (par exemple des jeunes qui se sont mobilisés pour le climat, ou …. les participants à la Convention Citoyenne). Pour aller vite, l’alerte n’est pas l’injonction
La période est importante parce que la venue d’équipes politiques plus ‘vertes’ à l’échelle locale est une occasion à ne pas rater de renouvellement du personnel politique. Il importe donc de construire les outils qui évitent qu’ils ne soient pas piégés par une ambiance intellectuelle structurée par des ‘média-parleurs’ demi-savants, demi-experts.
Idéologiquement, et les Poissons Roses ont ici un rôle à jouer, il faut renverser un discours qui joue sur la ‘peur’ (sauvons la planète) et qui conduit au ‘catastrophisme’. Sans le vouloir, conjugué à l’utilisation de la peur dans la gestion de la COVID-19, par l’accent mis sur la ‘sécurité’ et le terrorisme, ce discours, tel le gauchisme comme idiot utile du capitalisme, contribue à construire des ‘états d’esprits’ de repli sur soi, de demande de protection et de ‘gouvernement fort’ qui conduiront à dégrader la démocratie. Il faut tracer une perspective d’espoir. Cela suppose que l’on mette la science à sa place, qu’on en empêche la convocation ‘à toutes les sauces’ donc que l’on travaille sur les liens science/médias/politique avec un petit œil sur la façon dont les recherches scientifiques et les divers types d’ONG et think-tanks sont financés.
- Celui du lien entre local et global comme condition de la maîtrise du lien entre court-terme et long terme. Je reprendrai une vieille image : nous devons éviter à la fois ‘la préemption du futur par le présent’ et la ‘dictature du futur sur le présent’ en raison des lendemains qui déchantent, tentation qui remplace aujourd’hui celle de la dictature au nom des lendemains qui chantent. Il n’y a pas de formule magique mais, sauf à s’en remettre à un despote éclairé, beaucoup se joue sur le point précédent, l’information du vulgum pecus puis, in fine, dans l’articulation entre les divers niveaux de discours et d’action :
- Le niveau des territoires est central pour réparer un tissu productif bien fragilisé dans un contexte de décrochage parfois impressionnant entre l’administration, les ‘porte-paroles’ des dossiers d’environnement et de société et la réalité des potentiels et contraintes à l’échelle local. Mais la question des territoires ne doit pas être séparée des enjeux et dynamiques sectorielles qui se situent dans des espaces de développement différents. C’est central pour embrayer la transition sinon toutes les politiques nationales ou européennes connaîtront le même ‘implementation gap’ que la rénovation thermique. Il y a donc à sérier ce qui relève d’espaces de développement locaux (rénov thermique, habitat, une partie de l’agriculture etc ….) avec des emplois ‘sédentaires’ non concurrencés et ce qui relève d’espaces de développement plus larges, du régional à l’international. Mais il faut surtout, et c’est dans les compétences des collectivités locales, contrôler la dynamique du foncier et de l’immobilier. Je me suis toujours demandé (en fait je sais pourquoi) ni la gauche classique ni les écolos n’ont pas fait de ce dossier un axe de combat central. Il gouverne l’artificialisation des sols, la réduction de la petite agriculture, l’extension d’un périurbain mal desservi en services publics, la dépendance à la voiture, la prolifération des ronds-points et des grandes surfaces, la crise des centre-villes.
- il renvoie à la question des rapports entre science et expertise et des effets de domination/influence entre ‘les élites’ d’en haut et les acteurs locaux et … sectoriels. A l’échelle locale on va parler pistes cyclables, artificialisation des sols et manger local, bien loin des débats géo-politiques qui paraissent stratosphériques alors que s’y jouent des paramètres décisifs pour les marges de manœuvre à l’échelle locales. C’est un problème énorme à résoudre non seulement parce que, objectivement, le domaine des possibles ‘en bas’ dépend grandement de paramètres objectifs (économiques, institutionnels) décidés ‘en haut’ mais aussi parce les débats à l’échelle locale ou sectorielle sont marqués par l’ambiance intellectuelle et les ‘mots’ qui résultent des expertises et médiatisations ‘d’en haut’ Or on retrouve à l’échelle locale des problèmes de liens entre acteurs, médias et experts. On note que les élus (députés, sénateurs…) ne sont pas en première ligne, qu’il y a un décalage entre les enjeux de la situation et les enjeux des élections, que les experts ( ONG notamment ) sont sur-représentés et pas toujours frottés aux enjeux concrets. Il faut une vision renouvelée des modes d’expertise liée à une analyse des liens entre modalités de soutien public, modalités d’émergence de porteurs de projets et modalités d’expertise et débats autour des projets.
- Parmi les modalités à inventer pour une élaboration démocratique et plus efficace des choix, il importe de travailler sur les liens entre territoires et dynamiques des secteurs productifs car, sauf pour le BTP ou certaines parties de l’agriculture ou des services, les dynamiques sectorielles sont guidées par des chaînes de décision qui échappent aux territoires. Cela pose la question du lien entre acteurs locaux et monde syndical. La tradition anarcho-syndicaliste qui pèse encore dans le subconscient de la CGT ou de FO (charte d’Amiens de 1905) est un obstacle qui devrait s’estomper (et qu’on n’a pas à la CFDT et à la CFTC).
- Pour favoriser une construction démocratique autour des enjeux d’environnement global (climat, biodiversité) il importe de porter davantage d’attention sur les questions d’adaptation. En effet, l’adaptation se joue essentiellement à l’échelle territoriale et implique des choix sur les infrastructures collectives (type de bâtiment, eau, épuration, recul de la bétonisation etc …) qui ont par elles-mêmes un ‘double-dividende’ en termes de qualité de services publics. C’est aussi un champ d’innovation important en matière de valorisation des ressources et de reconversion agricole.
- Enfin l’Union Européenne est un niveau central dans tout projet politique d’ensemble. Pour JCH, trois pays avaient une vision internationale, la France, l’Espagne et l’Angleterre. La France reste seule avec l’Espagne. Mais elle est arrogante et n’écoute pas les autres. Les Allemands ont une vision très « allemande », tournée autour de la « Heimat » ( la patrie). Ils savent construire des consensus par des discussions internes entre Länder et entre acteurs de la société civile. Cela leur donne une très grande force dans les négociations intra-européennes où, bien souvent, ils parviennent à imposer leurs préférences.
NB Ce CR intègre également quelques éléments mentionnés dans les trois articles transmis par JCH avant l’entretien.
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