A l’occasion du sommet sur la protection des océans, les Poissons Roses co-signent une tribune pour défendre « le monde bleu »
Tribune
« La destruction de l’océan doit cesser » : l’appel de collectifs chrétiens pour l’Unoc
Un Collectif
Publié le 9 juin 2025 à 12h24

Alors que la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan s’est ouverte ce lundi 9 juin à Nice, un collectif de chrétiens, associations, communautés et congrégations religieuses, exprime leur inquiétude quant à l’état de l’océan et exhorte les responsables ecclésiaux, politiques et économiques à s’engager pour sa protection.Partager
Qu’ils soient bibliques ou scientifiques, les récits disent, à leur manière, que la vie apparaît d’abord dans l’eau. « Dieu dit : que les eaux grouillent d’un grouillement d’êtres vivants » (Gn 1, 20). L’ensemble des vivants qui peuplent l’océan forme une biodiversité d’une richesse exceptionnelle. Du plancton invisible à l’œil nu aux plus grands mammifères, la faune marine suscite l’émerveillement et nous rappelle la nécessité de préserver toute la Création.
Pourtant, alors même que la parole du Christ nous dit que, jetant son filet, le disciple peut le remonter « plein de gros poissons » (Jn 21, 11), force est de constater combien la réalité est autre : « La vie dans les mers et les océans, qui alimente une grande partie de la population mondiale, se voit affectée par l’extraction désordonnée des ressources de pêche, provoquant des diminutions drastiques de certaines espèces » (Laudato si’, n. 40).
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En absorbant environ 30 % du CO2 atmosphérique et plus de 90 % de l’excès de chaleur produit par les activités humaines, l’océan constitue notre principal rempart dans la limitation des effets du dérèglement climatique. Hélas, il présente de plus en plus de fissures : la hausse des températures marines et l’acidification croissante des eaux affaiblissent sa capacité à absorber le carbone. La faune et la flore subissent les canicules marines sans pouvoir s’y adapter et la montée des eaux met en péril biodiversité et sociétés humaines côtières – près d’un milliard d’humains menacés d’ici à 2100 (1).
Une destruction documentée
« Qui a transformé le merveilleux monde marin en cimetières sous-marins dépourvus de vie et de couleurs ? » La réponse à cette question posée par les évêques catholiques philippins en 1988 dans leur lettre pastorale « What Is Happening to Our Beautiful Land ? » est bien connue. L’océan est devenu le réceptacle de nos déchets : plastiques, métaux lourds, hydrocarbures, produits chimiques et eaux usées, auxquels s’ajoutent les pollutions sonores du trafic maritime.
La principale menace vient de la pêche industrielle (chalutage de fond, senne démersale, chalutage pélagique, pêche électrique), qui constitue l’immense majorité des prises en Europe et pille les océans, au détriment des pêcheurs artisans et de la santé des écosystèmes : 90 % des grands poissons ont aujourd’hui disparu. Et pour cause, en France métropolitaine, moins de 0,1 % des eaux territoriales sont réellement protégées (2).
Sur le plan économique et social, le secteur de la pêche industrielle est déficitaire et ne subsiste que grâce à des subventions massives des États. Pourtant, ce soutien met en péril les pêcheurs artisans, de moins en moins nombreux à poursuivre leur activité, faute de poissons. Dans les eaux internationales, de nombreuses violations de droits humains sont aussi reportées (privation de liberté, de salaire, de sommeil, violences physiques et sexuelles, etc.). Dans le Pacifique, au moins 100 000 personnes seraient ainsi retenues en esclavage sur des bateaux de pêche.
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Cette surpêche s’accompagne souvent d’une appropriation des ressources des communautés locales au profit des pays du Nord, surtout dans les pays en développement. De même, l’exploitation minière des fonds marins représente l’accaparement par les pays industrialisés de « l’héritage commun de l’humanité » (Convention sur le droit de la mer). Malgré les alertes unanimes lancées par la communauté scientifique, cette nouvelle industrie est sur le point de démarrer, et ce par la seule volonté de Donald Trump, en violation du droit international et en dépit des efforts menés par 32 pays pour mettre en place un moratoire à l’échelle internationale.
En menaçant les moyens de subsistance des populations et en détruisant ce bien que l’humanité a en partage, ces activités de « l’économie bleue » contreviennent clairement au principe de destination universelle des biens : « La création a été voulue pour être partagée par tous les peuples ; sa destruction gratuite et égoïste affecte injustement les êtres humains contemporains comme les générations à venir, mais aussi la nature elle-même » (3).
Des leviers d’action déjà connus
Face à ces tristes dégradations, nous appelons les décideurs à faire cesser la destruction de l’océan, en contrôlant mieux les activités en mer, en créant des aires marines véritablement protégées, en s’employant de toutes leurs forces à empêcher l’exploitation minière des fonds marins, en ratifiant le traité sur la haute mer et en impliquant davantage la société civile et les communautés des pays du Sud.
Nous demandons à Emmanuel Macron et au gouvernement de faire de la France, deuxième espace maritime mondial, un pays exemplaire, à la suite de l’accord de Kunming-Montreal et du traité sur la haute mer, en interdisant le chalutage de fond, le chalutage pélagique et la senne démersale dans les eaux françaises et en appliquant une protection stricte à l’ensemble des aires dites « protégées », sans distinction.
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Il est du « propre et intransférable » devoir de l’État de privilégier l’intérêt général et de procéder à la protection de notre bien commun, « sans se vendre à des intérêts illégitimes » (Laudato si’, n. 38). Nous appelons à ce que la parole des scientifiques et des associations soit écoutée, mise en pratique et que les décisions futures soient prises collectivement, avec l’ensemble des acteurs autour de la table. « À cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le droit » (Laudato si’, n. 33).
Signataires :
Grégoire Mauduit, Lutte et Contemplation
Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France
Martin Kopp, GreenFaith France
Virginie Amieux, présidente du CCFD – Terre solidaire
Anne Doutriaux, coordinatrice du Mouvement Laudato Si’ France
Père Thierry Dobbelstein sj, Supérieur provincial des jésuites d’Europe occidentale francophone
Père François Michon, Supérieur général de la Communauté du Chemin-Neuf
Rachel Calvert et Jean-François Mouhot, présidente et directeur d’A Rocha France
Jacqueline de Bourgoing et Alexis Guerit, présidente déléguée et secrétaire général d’Église Verte
Père Marcel Rémon sj, directeur du Ceras
Gilbert Landais et Élisabeth Flichy, coprésidents de Chrétiens Unis pour la Terre
Bertrand du Marais, président des Poissons Roses
Jérôme Moreau, président des Alternatives catholiques
Frère Théo Desfour, Franciscain ofm
Gabriel Waeles Amieux, Anastasis
Jean-Philippe Barde et Corinne Bitaud, commission Écologie et justice climatique de la Fédération Protestante de France
Magali Girard, pasteure, réseau Espérer pour le vivant
Antoine Rolland, réseau Espérer pour le vivant
Jean-Sébastien Ingrand, pasteur et chargé de mission pour la justice climatique de l’Union des Églises Protestantes d’Alsace et de Lorraine
Frédéric Rognon, pasteur de l’Église Protestante Unie de France, Faculté de théologie protestante de Strasbourg
Jane Stranz, pasteure de l’Église Protestante Unie de France à Courbevoie
(1) Benjamin H. Strauss, Scott A. Kulp, D. J. Rasmussen and Anders Levermann, « Unprecedented threats to cities from multi-century sea level rise », Environmental Research Letters, 2021.
(2) Joachim Claudet, Charles Loiseau, Antoine Pebayle (CNRS/UPVD/EPHE-PSL), « Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world », Marine Policy, 2021.
(3) Cultivate and care, no 18, document no 226 de Foi et constitution, 2021.
crédit photo Vecteezy
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