Une élection cruciale pour l’Europe ; Journal La Croix 4 juin 2024
Bertrand du Marais, actuel Président des Poissons Roses
Patrice Obert, ancien-Président, co-auteur de L’Europe et ses défis ( harmattan 2024)
Les Poissons Roses, plateforme de réflexion de chrétiens, à gauche, ont toujours
montré un vif attachement au projet européen, en demandant dès 2016, de mieux
définir les projets européens, davantage de subsidiarité, la transparence des débats
au Conseil européen et un parlement de la zone euro 1 . Notre cible institutionnelle est
une Communauté Fédérale Européenne et notre méthode, la « révolution
démocratique », fondée sur des projets communs centrée sur la Personne Humaine
chère au philosophe Emmanuel Mounier. Nous sommes toujours saisis par l’urgence
d’avancer sur l’écologie, les migrations, la place du travail dans notre modèle de
société.
Depuis cette date, des événements graves ont touché l’Europe : la Covid ; les conflits
récents soulevés dans le monde agricole notamment par le Green Deal ; la guerre
anachronique lancée par la Russie en Ukraine, c’est-à-dire aux marges de l’Union
européenne ; la poursuite des flux migratoires avec leur cortège d’horreurs mais
conduisant à l’adoption in extremis du Pacte Asile Migration.
Dans ces conditions, un débat sur l’émergence d’une Europe-Puissance s’est
engagé. Si l’Europe doit en effet se doter d’une puissance militaire nécessaire pour
se défendre et se faire respecter, elle ne doit pas oublier que certains de ses
membres ont, par le passé, largement usé et abusé de la puissance, au point que le
continent a été l’élément déclencheur de deux Guerres mondiales. Aussi, cette
nouvelle puissance devra, plus que jamais, être mise au service de la paix, dans
l’esprit qui a prévalu à la réconciliation franco-allemande et à l’émergence de cette
Union fondée sur le droit et l’équité. Plus que jamais l’Europe doit avoir l’ambition de
faire respecter les droits humains, la démocratie, l’Etat de droit et préserver la
sécurité de ses ressortissants.
Les élections du 9 juin peuvent renouveler le Parlement européen pour le meilleur
mais aussi pour le pire : blocage de L’Union car le Parlement est co-législateur ;
formation de majorités entre conservateurs et des extrême-droites partout en
expansion. Nous souhaitons attirer l’attention sur trois sujets.
Premier sujet, l’Europe sociale reste en panne. Une « Charte communautaire des
droits sociaux fondamentaux des travailleurs » a bien été signée en 1989 et deux
sommets sociaux se sont tenus en 2017 à Göteborg puis en 2021 à Porto. Certes
ont été adoptés grâce à l’Union : en 2018, la réglementation applicable aux
travailleurs détachés ; en 2022, une directive spécifique au salaire minimum et, tout
récemment, un accord relatif à la protection des travailleurs exerçant sur les
plateformes en ligne. La déclaration de la Hulpe sur l’avenir de l’Europe sociale,
1 Voir nos publications sur ce thème sur : http://poissonsroses.org/contributions/
signée le 16 avril 2024, réaffirme l’importance du socle européen des droits sociaux
comme boussole pour l’avenir de l’Europe sociale. Mais le volet social sert le plus
souvent d’accompagnement au volet économique alors que l’Europe de la solidarité
reste à construire. Ceci ne sera possible que si l’Europe régule plus strictement son
économie de marché, sauvegarde ses services publics, protège ses ressortissants et
ses entreprises de la concurrence sauvage des pays hors d’Europe qui ne
respectent pas les normes éthiques, sociales ou environnementales.
Le deuxième sujet recoupe ce souci des peuples européens. L’Europe, espérée,
souhaitée, est devenue illisible pour la plupart des Européens qui ne comprennent
pas son fonctionnement, méconnaissent ses institutions, et traversent une crise de
désamour. Les récents et dramatiques événements ont toutefois redoré le blason
européen et la cote de popularité des institutions européennes est remontée.
L’Europe reste pourtant lointaine. Elle est souvent instrumentalisée par nos
dirigeants comme un repoussoir et alors vue par nos concitoyens comme un
ensemble bureaucratique et normatif, davantage une contrainte qu’une aide. Les
peuples européens considèrent qu’ils n’ont guère touché de dividendes de la
prospérité et aucun de la dérégulation. Il serait temps de le prendre en considération,
réellement.
Enfin, nous souhaitons attirer l’attention sur un sujet peu connu mais essentiel : les
ressources financières de l’Union. On sait qu’un Cadre financier pluriannuel est
arrêté tous les 7 ans. Aux 1000 milliards validés s’est ajoutée l’enveloppe de 750
milliards engagée au titre de l’initiative NextGenerationEU. Ces volumes restent
toutefois limités à un peu plus d’1% du revenu national brut de l’Union. En 2021, la
Commission a proposé de recourir à de nouvelles ressources propres : une taxe liée
au système d’échange de quotas d’émission de CO2, une taxe carbone aux
frontières de l’Union, une taxation sur les transactions financières et une taxation des
bénéfices des multinationales. Dans la compétition internationale ouverte avec les
Etats-Unis et la Chine, dans la confrontation sécuritaire en cours avec la Russie,
l’Union a besoin de davantage de ressources propres.
Les Poissons Roses réaffirment leur confiance dans la construction européenne,
seule voie possible pour « préserver nos intérêts communs, promouvoir les valeurs
de notre civilisation et préserver nos identités nationales », comme nous l’écrivions
en 2016. Aujourd’hui encore plus qu’hier, être patriote, c’est être européen. Que la
voix des peuples et des citoyens de tous nos pays soit, collectivement, mieux
écoutée et leurs conditions de vie quotidienne mieux prises en compte.
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