Après la crise?

Réponse à l’appel à contribution lancé par France Stratégie


Rubrique : Quelles inter-actions humains/nature, mondialisation et pandémies ?


1)  Les premiers mots de l’Appel à contribution de France Stratégie parlaient de la crise du Covid-19, alors que la fin du 1er alinéa de l’Appel propose d’analyser « les fragilités, les vulnérabilités et les failles » de « notre modèle de développement ». Ce deuxième sujet, qui constitue « un vaste programme », sera abordé dans le paragraphe 6). Si France Stratégie souhaite que nous développions ce deuxième sujet, nous accepterons volontiers ce défi.

2)  Nous commencerons donc par noter que les principales failles de notre politique de santé que la crise du Covid-19 a mises en évidence, sont le manque de masques, de gel hydroalcoolique, de lits d’hôpital dotés de respirateurs capables de soigner les malades les plus gravement atteints et le risque de manquer de molécules de base des médicaments nécessaires.

3)  Pour les lits d’hôpital, selon l’OCDE, nous avons en France 600 lits d’hospitalisation pour 100 000 habitants ; dans les pays voisins, il en existe 800 en Allemagne, 320 en Italie, 300 en Espagne, 280 aux USA, 250 au Royaume-Uni ; pour les lits de réanimation et de soins intensifs, ces chiffres sont : 16,3 (soit 2,7 % du nombre total de lits) en France, 33,9 soit 4,2 % en Allemagne, 8,6 soit 2,7 % en Italie, 9,7 soit 3,2 % en Espagne, 25,8 soit 9,2 % aux USA, 10,5 soit 4,2 % au Royaume-Uni. On voit alors que le nombre total des lits d’hôpitaux de France est nettement plus élevé que celui des autres pays à l’exception de l’Allemagne.

L’augmentation générale du nombre de lits d’hôpital, qui est réclamée à cor et à cri dans les médias, n’est donc pas le remède miracle. La précaution à prendre si nous voulons nous préparer à l’arrivée d’un nouveau virus à incidences respiratoires, est de prévoir de stocker des appareils respiratoires pour transformer des lits d’hôpital ordinaire en lits de réanimation. Cette précaution sera évidemment inadéquate si la prochaine épidémie n’affecte pas notre système respiratoire, mais, par exemple, notre intestin (grippe intestinale) ou notre foie (hépatite virale) ou notre appareil circulatoire (fièvre hémorragique). La bonne précaution est alors d’augmenter la polyvalence des lits d’hôpital plus que leur nombre.

Une liste sommaire de quelques maladies virales qui ont survenues ces dernières années est jointe en annexe.

      4)  Plus généralement, pour se préparer à affronter une nouvelle épidémie, il faudra mettre en place un système de réaction rapide prévoyant :

  • une coordination de tous les services de santé pour avoir une alerte précoce de l’arrivée d’une nouvelle pathologie contagieuse,
  • le partage international des informations épidémiologiques, sous l’égide de ce qui restera le l’Organisation mondiale de la santé si Donald Trump confirme que les États- Unis cessent de participer à son financement comme ils l’ont décidé pour l’Unesco.
  • la relocalisation de la fabrication du matériel de traitement des pathologies respiratoires et des médicaments efficaces, éventuellement au niveau de l’Europe.

     5)  La seconde faille majeure que la crise du Covid-19 a mise en évidence est le manque de « modèles épidémiologiques » crédibles capables de construire des scénarios vraisemblables tenant compte des mesures politiques de lutte contre le virus (confinement, contrôle des frontières, tests de dépistage, contrôle par Internet du comportement des citoyens et des déplacements des personnes contaminées ou susceptibles de l’être). En effet, les estimations de ces modèles fort peu holistiques vont de 10 000 décès à plus de 100 000 décès. La conséquence de cette faille est que les gouvernements naviguent à l’aveuglette et que les bons esprits qui ont envie de critiquer le gouvernement peuvent raconter n’importe quoi sur ce qu’il aurait fallu faire.

A ce sujet, vous trouverez, dans le chapitre 3 du petit ouvrage Écologie intégrale (Ed. de l’Harmattan) rédigé à l’instigation des Poissons Roses,  quatre « modèles » utilisés en écologie qui pourraient combler une partie de cette faille. Par exemple, notons que les grandes villes où le paysage est très artificialisé sont propices à la contamination. En France, il est remarquable que le virus s’est fortement répandu dans des régions de plaine (l’Oise, la plaine d’Alsace, le Grand Est, le nord de l’Ile de France, les Hauts de France) où les paysages ruraux sont dominés par de grandes cultures industrialisées. Il en est de même en Italie du Nord. En Chine, la région de Wuhan est une basse plaine humide où la culture du riz est dominante. Au contraire, en France, le foyer montagnard de Savoie a été rapidement maîtrisé. Au Japon et en Corée du Sud, où les paysages de montagne à forte diversité sont dominants, l’expansion du virus a été faible. Nous préconisons que les « modèles » épidémiologiques de diffusion et de circulation du virus tiennent compte de la diversité et de l’artificialisation des paysages.

       6)  Les conséquences économiques de la crise Covid-19 sont liées à notre « modèle de développement » évoqué au début de l’Appel à contribution de France Stratégie. La faiblesse principale du modèle aujourd’hui dominant – le néo-libéralisme du consensus de Washington – est qu’il est fondé sur la standardisation des comportements des consommateurs dans des « lois » économiques qui oublient les travaux de Hyman Minsky, de Steve Keen, de Maurice Allais, de Pierre-Noël Giraud, etc.

Hyman Minsky écrit :  » [dans le modèle néo-libéral], les régulations financières autour des banques et de la création monétaire, les contraintes imposées par les passifs, et les problèmes associés à la connaissance d’un futur incertain ont tous été exclus. »

Le défaut le plus grave de ce modèle est qu’il risque d’augmenter les inégalités à l’intérieur de chaque pays et entre les pays en oubliant que la puissance publique doit imposer des régulations en vue du bien commun pour éviter qu’il s’agisse seulement de la liberté du renard dans le poulailler. Pour réduire les inégalités, il importe de tenir compte des analyses de P.-N. Giraud sur la différence entre les emplois « nomades » qui utilisent les techniques les plus récentes et paient de bons salaires, en étant soumis à la concurrence internationale et, d’autre part, les « sédentaires » implantés dans un pays, utilisant des techniques traditionnelles et faiblement liés au commerce international.

7)  Pour financer les innovations capables de préparer notre résilience vis-à-vis des crises futures, il sera nécessaire de :

  • dégager les marges de manœuvre du financement à long terme des actions nécessaires,
  • coordonner les actions de l’hôpital public, des autres institutions hospitalières, des pharmacies et de la médecine de ville,
  • responsabiliser le public, comme l’ont fait les Coréens et les Taïwanais,
  • construire une stratégie de réponse aux épidémies garantissant l’approvisionnement en médicaments et en matériel médical,
  • développer la recherche médicale en favorisant la créativité des petites équipes innovantes, comme le fait déjà l’INSERM.
  • coordonner ces politiques à l’échelle de l’Europe ou du groupe d’États qui accepteraient une vision commune. 

Annexe

Les fièvres hémorragiques comme la dengue, le virus Ebola (un filovirus composé d’un filament d’ARN, qui a tué 11 000 personnes et qui est très inquiétant parce qu’il est mortel pour 50 % des personnes atteintes), son cousin Marburg, le virus Lassa et les arboviroses restent incontrôlées. Il en est de même du virus West Nile, qui provoque des méningites ; il a tué des centaines de personnes aux États-Unis ; sept cas humains ont été signalés dans le sud de la France à partir de 2003, sans doute parce qu’il a infesté les chevaux, en particulier en Camargue. En 2003-2004, la dengue a tué 175 personnes en Indonésie après que les moustiques qui la propagent en aient infesté 8 735. En 2019, 192 personnes sont mortes d’une maladie liée à la dengue au Yémen.           L’Armée américaine a financé des recherches sur le virus Ebola, pour voir comment il serait possible de lutter contre une attaque terroriste qui utiliserait ce virus.

Le coronavirus Middle East Respiratory Syndrom MERS est apparenté au virus SRAS. Il est apparu en 2012 en Arabie saoudite où il a infecté 1179 personnes et causé 442 décès jusqu’en juin 2015. En 2015, il a contaminé 64 personnes en Corée du Sud et provoqué 5 décès et un Allemand qui était revenu d’Arabie est décédé.

En 2016, le virus Zika, véhiculé par un Moustique, a affecté en particulier le Brésil. Il cause des malformations congénitales (microcéphalie).

Le développement des cultures de maïs en Argentine a fait proliférer la souris locale, Calomys musculinus, porteuse du virus Junin, mortel pour 20 % des personnes atteintes.

En Bolivie, le virus Machupo a commencé à devenir dangereux vers 1960, lorsque la souris Calomys callosus a pullulé, à la suite de modifications des pratiques agricoles. Son développement a été arrêté vers 1974, grâce à un contrôle de la pullulation des souris.

En Corée, l’extension des rizières a favorisé la souris locale, porteuse du virus Hantaan, qui a affecté les troupes de l’ONU.

En Égypte, la fièvre du Rift se réveille par flambées depuis la construction du barrage d’Assouan, et elle s’étend en Mauritanie, à cause des barrages sur le fleuve Sénégal.

En Afrique encore, c’est la souris Mastomys natalensis qui transmet le virus de la fièvre hémorragique Lassa en Afrique.

N. Levisalles (1992) fait remarquer qu’une grande partie de la trentaine de nouvelles maladies infectieuses menaçantes repérées depuis 1950 existaient dans des populations animales (ou, très rarement, humaines) très localisées. Les animaux porteurs sont aussi bien des Rongeurs [1], des Oiseaux que des Insectes. C’est un changement dans les modes de vie locaux qui les a rendus dangereux. Neospora caninum est un Protozoaire proche de Toxoplasma gondii ; il a été découvert dans les années 80 ; il provoque des avortements chez les vaches, les juments, les brebis et les chèvres ; il attaque aussi les chiens, les renards, les coyotes et les renards argentés ; les pertes occasionnées par ce parasite ont atteint 3 millions de dollars au Canada.   

     Les défrichements, les ouvertures de routes, les créations de barrages et les migrations humaines répandent les maladies microbiennes. Les « dysenteries » bactériennes (shigellose, salmonellose, choléra, etc.) font périr deux millions de personnes chaque année.                 


[1] Les Règles typographiques de l’Imprimerie nationale prévoient d’accorder La majuscule des noms des espèces et des groupes taxinomiques, en Français comme en latin.

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