Un an et demi après l’élection d’Emmanuel Macron, alors que gronde la fronde des Gilets jaunes, de nombreux commentateurs cherchent à tirer un bilan de son action et à le ranger dans une des grandes catégories de la politique française : libérale, individualiste, ou encore bonapartiste. Exercice ardu quand on considère que l’intéressé se veut le porteur d’un « nouveau monde » et qu’il récuse un classement dans des tiroirs inadaptés. L’exercice est d’autant plus difficile si on ne tient pas compte du contexte. Il faut prendre en compte les situations française, européenne et internationale. Française, avec le constat de trente ans de cogestion droite/gauche incapable de réformer le pays, la victoire progressive d’un néolibéralisme ayant acculé le PS à jouer la carte sociétale, enfin un abandon progressif de l’ambition européenne. Situation européenne avec la prise de conscience des désastres d’une régulation incontrôlée, le culte du capitalisme financier, l’impuissance politique de la «vieille Europe » et le réveil de populismes qui conjuguent liberté économique et absence de démocratie politique. Internationaleenfin avec le diagnostic de plus en plus partagé que nos sociétés vont se fracasser sur l’équation écologique, la marchandisation et la valorisation de l’individu.Sans oublier la nouvelle révolution technologique qui, de l’intelligence artificielle aux Big data en passant par la remise en cause du Vivant, interroge chacun d’entre nous, désormais acteur et voyeur du grand cirque planétaire. C’est à l’aune de ce contexte compliqué, alors qu’on voit apparaître aux Etats-Unis, en Russie, en Chine un nouveau type de dirigeant, que l’on doit regarder les difficultés actuelles que rencontre le président français.C’est là que la figure de Turgot surgit. Turgot, né en 1727 et mort en 1781, économiste, écrivain, collaborateur de l’Encyclopédie, devint à 53 ans contrôleur général des finances du roi Louis XVI, poste dans lequel il restera deux ans seulement, s’activant pour réduire les déficits, moderniser les impôts, établir le libre-échange et tenter d’ abolir les privilèges. Il fut obligé de se retirer face à la coalition des mécontents : noblesse et Parlement outrés de ses attaques contre les privilèges, Cour, choquée de sa réforme de la Maison du roi, monde financier, mécontent de sa législation du libre-échange, clergé lassé de ses accès de tolérance envers les protestants, bourgeoisie parisienne irritée de son décret sur les jurandes. La monarchie ne se réformera pas et la Révolution française emportera tout l’édifice.Ce monde qui vacille, qui ne se pense plus, qui ignore que ses fondements sont rongés, Turgot en avait conscience. L’analyse des discours prononcés par le président Macron donne une impression semblable : une conscience claire des dangers et des enjeux qui guettent le monde et l’ensemble de nos sociétés emportées dans une frénésie insupportable pour notre planète. D’où le projet politique qu’il a proposé aux Français : libérer les énergies, protéger et unir, en s’appuyant sur une Europe rénovée. Turgot fut visionnaire et échoua. L’ampleur des défis, qui dépassent le seul président français, nous laisse dans le doute, ouvrant deux voies conciliables : à court terme, l’encourager dans son déblocage de notre pays, à moyen terme, ne pas se satisfaire d’un emplâtre sur une jambe gangrenée et réfléchir aux bases du nouveau pacte social qui, irrémédiablement, un jour, surviendra et qui reposera sur une société de la réciprocité et du don, l’économie du partage, la politique de la vertu. C’est la voie choisie par les Poissons Roses.Si l’exemple de Turgot ne vous convainc pas, pensez à Mikhaïl Gorbatchev… |
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