Les lumières à l’âge du vivant, de Corine Pelluchon

Seuil 2021

Recension de Patrice Obert

 Corine Pelluchon s’attaque à une question essentielle. Pourquoi nos sociétés sont dans l’état que nous connaissons ? Comment s’en sortir ? Autrement dit, pourquoi le Progrès, qui s’appuyait sur les Lumières, s’est inversé en régression ? Et du coup, elle aborde une question clé : faut-il revenir sur les Lumières car elles auraient échoué, ou faut-il aller plus loin, les apurer, en quelque sorte, et de quelle manière ? Sa thèse est que les Lumières ses sont perverties dans une éthique de la Domination mais qu’il est encore temps de retrouver leur cœur en changeant notre imaginaire collectif, en s’appuyant sur elles, pour aller vers une éthique de la Considération qui permettra la transition écologique.

Les Lumières, dit-elle, se caractérisent par l’affirmation de l’autonomie de la raison et par la résolution des individus à prendre en main leur destin.  Qu’est ce qui a provoqué, dans la civilisation occidentale, cette inversion du rationalisme en irrationalité ? Une double amputation : d’une part, cette civilisation s’est coupée de la nature, ce qui a provoqué un cycle d’asservissement des autres, humains et non-humains, et une répression par le sujet de sa vie émotionnelle et de ses instincts ; d’autre part, la modernité a érigé la conscience individuelle en norme du vrai et la raison a perdu peu à peu tout rapport avec l’universel. Le vrai a été assimilé à l’utile, à l’efficace.

Notre société est confrontée, selon elle, à trois défis majeurs : l’économisme, le nationalisme, la destruction de la planète et du vivant.

Pour y faire face, il convient de réaliser la transition écologique qui repose sur quatre piliers : la préservation de l’environnement, le souci pour la santé de nos contemporains et des générations futures, la justice sociale, le respect des animaux domestiques et sauvages

Retrouver la force des Lumières à l’âge du vivant, c’est vouloir prendre en compte l’unité du monde et la diversité des êtres et des cultures. C’est changer d’imaginaire et faire évoluer nos représentations, nos évaluations, nos émotions pour aboutir à une éthique de la considération. Cela demandera du temps. Cette transformation s’effectue d’abord dans le silence des consciences et se généralisera peu à peu. Elle nous acheminera vers une vie bonne par un passage radical et non-violent, progressif et diffus dans lequel l’Europe peut trouver une perspective, un chemin et un sens. Corine Pelluchon lui consacre un superbe dernier chapitre, dont je recommande vivement la lecture. L’Europe doit retrouver la confiance en soi et en son dessein. L’Occident s’est fourvoyé quand il a abandonné toute cosmologie et tout fondement théologique et que le sujet a perdu progressivement toute visée de l’universel. Par ce qu’elle est, l’Europe a encore les moyens de s’imposer sans rien imposer, de devenir désirable. Il lui faut prendre à bras le corps de graves questions : retrouver le sens du progrès moral (après la colonisation et la Seconde guerre mondiale, l’émancipation du sujet, l’accueil des réfugiés)

Plus que jamais les Lumières à l’âge du vivant doivent nous éclairer.

La conclusion du livre en offre une magnifique synthèse.

Un livre qui ouvre de nombreux débats passionnants et trace des perspectives pour nous, Européens.

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