Notre incapacité à dialoguer nous empêche d’aborder les enjeux majeurs – Notre tribune dans La Croix du 13 avril 2023

Retraites : « Notre incapacité à dialoguer nous empêche d’aborder les enjeux majeurs »
Patrice Dunoyer de Segonzac, Président des Poissons roses, et Roland Baillet; Secrétaire Général des Poissons roses.

Le président des Poissons roses estime que le climat politique actuel est dramatiquement déserté par les valeurs de dialogue défendues par les chrétiens en politique. Il invite les concitoyens et les syndicats à demander qu’une nouvelle réforme des retraites, reprenant l’idée d’un système universel par points, soit discutée.

Peut-on d’ores et déjà tirer un premier bilan du processus de la réforme des retraites ? Nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à parler de crise politique, institutionnelle, voire de crise de régime. Notre observation est moins grandiloquente : cette réforme souligne notre incapacité à travailler ensemble, notre difficulté à placer le bien commun devant, et montre dramatiquement un climat politique déserté par les valeurs de dialogue défendues par les chrétiens en politique.

Dans les démocraties à régime parlementaire, lorsque les élections ne donnent pas une majorité absolue à un camp, les représentants élus recherchent le plus souvent des points de compromis sur l’essentiel, un programme de gouvernement qui, validé, devient la loi de la coalition au pouvoir. Chez nous, l’ouverture ou les compromis ne se construisent pas à la suite des élections malgré les engagements souvent claironnés au soir de celles-ci.

L’exécutif, quand il ne dispose que d’une majorité relative, comme actuellement, applique son programme, texte par texte, en utilisant l’apport de voix venant de différents rangs des Assemblées ou en recourant devant le législatif aux armes de la Constitution pour faire adopter ses textes. Il faut reconnaître que cette situation fonctionne dans un certain nombre de cas. Mais sur les réformes de fond, qui amendent le pacte social, on vient de constater que l’exécutif, utilisant les articles de la Constitution pour abréger la discussion et faire voter la confiance au gouvernement (par application de l’article 49.3), et l’opposition, multipliant les amendements pour obstruer le débat, ont empêché la volonté nationale de s’exprimer et de voter la loi.

Certes le texte « est considéré comme adopté » selon la Constitution. Est-il pour autant légitime pour les Français alors même que les sondages montrent une majorité opposée au projet du gouvernement, sans parler de l’ampleur des autres manifestations ?

S’agissant de la mise en œuvre de la démocratie sociale, qui est reconnue par le préambule de la Constitution de 1946, le même bilan peut être tiré de la discussion préalable de la réforme des retraites avec les organisations syndicales. D’un côté, un gouvernement qui fait du recul de l’âge de départ la pierre d’angle d’une réforme des retraites, de l’autre un front syndical qui pose comme principale revendication l’abandon de cette disposition, en l’absence d’une proposition de réforme d’une plus grande ampleur. Autrement dit, une bataille frontale était inévitable.

Doit-on prévoir un camp qui cédera pour de mauvaises raisons, la peur du chaos pour le gouvernement suite aux violences qui se manifestent, la lassitude des citoyens pour les syndicats, le tout dans le plus grand gâchis ? Ne doit-on pas craindre, comme le montrent certaines études, que l’unité nationale et la cohésion de la société en ressortiront ébranlées et que les fractures sociales et intergénérationnelles se seront creusées, annonciatrices d’une plus grande méfiance envers les dirigeants et du renforcement de l’extrême droite ? Cette incapacité à dialoguer et ces positionnements de coq nous empêchent d’aborder collectivement les enjeux majeurs qui se dressent devant notre société : enjeux climatiques, militaires et du quotidien. Le processus du Conseil national de la refondation aurait pu servir de cheminement en ce sens. On se rend bien compte qu’il fonctionne à bas bruit sans contribuer au large débat qu’il était censé impulser. On pourra invoquer le flop du grand débat national, lancé sous le quinquennat précédent et qui avait servi à dénouer la crise des gilets jaunes. Que n’a-t-on su – et le pouvoir en porte la responsabilité – extraire de ce débat les éléments nourrissant une démarche collective citoyenne !

Mais pourquoi ne pas revitaliser notre démocratie en utilisant ce type d’instruments pour les réformes de fond qui impactent le contrat social avant le débat législatif ? L’exemple des Conventions citoyennes démontre que des outils existent. Lors de la dernière élection présidentielle, le journal La Croix avait lancé un Appel, signé entre autres par les Poissons roses, afin de réclamer un débat de qualité. Si les signataires furent nombreux, il n’en reste pas moins que cet appel fut suivi de peu d’effet. Les débordements auxquels nous avons assisté à l’Assemblée nationale confirment la difficulté de certains de nos parlementaires à se comporter en dialogueurs responsables. Faut-il en conclure que les qualités d’écoute, de dialogue, d’attention aux propos de l’autre, s’effilochent ? On peut le craindre, mais on peut aussi travailler à un sursaut salutaire. Toutes ces qualités supposent en effet le respect de l’autre, de ses convictions et de son expression, la conscience de ne pas posséder la vérité et le souci du bien commun dans toutes ses dimensions – économique, sociale, environnementale. Deux caractéristiques propres qui devraient s’imposer en République et que revendiquent les Poissons roses qui, s’agissant du bien commun, rappellent la nécessité de mettre l’économie au service de l’homme.


C’est cette façon de faire de la politique que souhaitent les Poissons roses. Ils invitent leurs concitoyens, les syndicats et les organisations professionnelles à demander qu’une réforme des retraites reprenant éventuellement l’idée d’un système universel par points ou s’appuyant sur d’autres hypothèses de financement soit discutée dans l’une des instances officielles du débat public. Le projet devrait être porté par les représentants des salariés et des employeurs. Le président de la République pourrait ainsi demander à son gouvernement de déposer un nouveau projet de loi.


(1) Les Poissons roses, plateforme de réflexion de chrétiens, à gauche, sont nés en 2010 d’un besoin fort de porter une parole politique singulière fondée sur un humanisme chrétien et une exigence de justice sociale dans tous les domaines.

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