Fiche de lecture Le « Back Office »

Article de Denis Maillard paru sur site de la Fondation Jean-Jaurès 21 avril 2020

Fiche rédigée par Patrice OBERT le 3 mai 2020

Dans cet article Denis Maillard s’interroge sur la façon dont la société va traiter les travailleurs du back-office après la crise du covid-19.

Il examine tout d’abord qui sont ces travailleurs, symbole d’une société de service dans laquelle l’acte de consommer est devenu essentiel.

Il distingue trois classes :

L’infrastructure logistique, majoritairement masculine : on trouve ici les ouvriers agricoles, les cantonniers et éboueurs, les manutentionnaires, les caristes, les préparateurs de commande, les transporteurs, les chauffeurs de toutes sortes, les magasiniers, les livreurs, etc. 

L’infrastructure commerciale, avec ses caissières et ses vendeuses, mais aussi les agents de sécurité, les plongeurs, les serveurs, les hôtesses, les téléopérateurs, etc. À plus de 70 % féminine, cette infrastructure commerciale est pour une bonne part inactive à l’heure actuelle, en raison de congés pour garde d’enfants ou de chômage partiel.

L’infrastructure sanitaire et domestique, occupée aux trois quarts par des femmes, qu’on nomme aussi le care (« le soin et le prendre soin »). Qu’il s’agisse des assistantes maternelles, nounous et baby-sitters, des femmes de ménage, agents d’entretien et jardiniers, des auxiliaires de vie, des aides-soignantes, des infirmières, des brancardiers, des ambulanciers. En font partie également les enseignants.

Ce Back office ne télétravaille. D Maillard note que «selon les données récemment fournies par Jérôme Fourquet, Marie Le Vern et Chloé Morin, le non-recours au télétravail concerne 64 % des actifs dont 77 % des employés et 92 % des ouvriers ; a contrario, 70 % des cadres télétravaillent » . Par ailleurs, 75 % des cadres touchent actuellement l’intégralité de leur revenu, ce chiffre tombe à 60 % dans les catégories populaires, dont seulement 52 % pour les ouvriers.

La grande caractéristique de ce back office est qu’il ne constitue pas une classe sociale à part entière. « Il est la description d’une position subjective issue d’une expérience vécue de la relation de travail dans une économie de service ». Il n’est donc pas représenté. Il est fragmenté entre métiers, statuts et modes de vie. Du coup, que peut-il craindre et espérer ?

Deux menaces principales sont identifiées par D Maillard :

  • Le chômage, via la destruction massive d’emplois dans les secteurs atteints par la crise économique qui va succéder à la crise sanitaire : événementiel, tourisme, culture, conseil, transport, industrie automobile, aéronautique. 
  • L’intensification du travail, notamment par l’automatisation des métiers. Il donne l’exemple des caissières et des ouvriers de la logistique.

Quelles espérances pourraient conduire à une « politique du back Office » ?

  • Un investissement lourd de l’Etat : c’est la promesse faite à l’hôpital et au secteur de la santé.
  • Une reconnaissance sociale ( cf aussi la crise des Gilets Jaunes). Celle-ci pourrait passer par plusieurs axes :
  • Une politique de la dignité qui viserait la pénibilité. Ces métiers en souffrent. Il faudrait passer de la réparation à une vraie politique de la prévention et peser sur l’organisation du travail. Dans cette tâche, les groupes de prévoyance, mutuelles et assurances devraient être sollicités et mis à contribution (d’autant qu’ils sont directement concernés par la sinistralité).
  • Une politique de l’émancipation par une revalorisation des compétences en ce qu’elles comportent une dimension de relation humaine. Comment les employeurs sauront-ils intégrer cette dimension relation dans la mesure de leur performance ? En ré-internalisant des fonctions souvent méprisées, comme le nettoyage ou la surveillance ?
  • Une politique de la visibilité. Comment faire que ces personnes puissent « vivre dignement de leur travail » ? Ceci devrait conduire à considérer le « social » autrement.  Ainsi, dit D Maillard :  « ce qu’on appelait traditionnellement « le social » a déserté les lieux et les institutions qui lui étaient destinés. Par exemple, les conditions de logement tendent de plus en plus souvent à structurer les conditions de travail – qu’on pense au télétravail évidemment, mais aussi à toutes ces personnes qui viennent s’employer aux domiciles des autres : nounous, femmes de ménages, auxiliaires de vie, livreurs, réparateurs en tous genre… Cette situation pose des questions inédites. C’est pourquoi le social de demain doit se donner l’ambition et les moyens de résorber, ensemble – dans une même agence, dans un même ministère –, les fractures territoriales, les fractures culturelles et les fractures sociales, comme le proposait Gilles Clavreul dans un de ses blocs-notes ».  Autre piste :  rendre visible la solidarité et la santé en affichant leur coût réel ( même si la prise en charge est assumée par la Secu et les assurances). Enfin, autre piste :  assurer une représentation homogène du monde du travail : « on ne peut plus se satisfaire d’élections professionnelles mises en œuvre de façon isolée, dans chaque entreprise, parfois dans les TPE, parfois dans la fonction publique ; il faudra bien imaginer, tous les quatre ans, une journée unique où l’ensemble des travailleurs français, quels que soient leurs statuts, désigneront leurs représentants chargés de les défendre et d’établir ensuite la représentativité réelle des organisations. Rendre explicite et unir… »

Merci à Denis Maillard  de nous ouvrir ces pistes de réflexion qui concernent les Insiders. Les Outsiders forment un autre champ de réflexion sur lequel les Poissons Roses se penchent dans leur « Enquête sur les Invisibles de la République » à paraître prochainement aux éditions du Cerf.

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