Interview de Christian Huglo et Corine Lepage dans le cadre du rapport la crise écologique, une chance pour la démocratie

Participants : Roland Baillet, Patrice Dunoyer de Segonzac, Michel Simonnet, Bertrand du Marais, Patrice Obert

Christina Huglo est avocat à la cour de Paris, docteur en droit. En 1969, il crée son cabinet d’avocat spécialisé dans les affaires de droit public et de droit de l’environnement qui deviendra le cabinet Huglo Lepage &amp ; Associés Conseil en 1978 quand son épouse Corinne Lepage, avocate également, le rejoindra. Cette dernière a été Ministre de l’environnement dans le Gouvernement d’Alain Juppé

C Huglo résume notre problématique en 4 questions :

  1. Peut-on réaliser la transition écologique sans démocratie ?
  2. Faut-il un cadre démocratique nouveau ?
  3. Doit-on/peut-on s’extraire du mythe de la croissance infinie ?
  4. Faut-il changer de modèle ?

C Huglo et C Lepage s’investissent désormais pour obtenir une reconnaissance du droit de l’environnement car, pour eux, ce droit est essentiel à l’avènement d’une société écologique et démocratique. Ils se considèrent comme des « acteurs doux » (car hostile à la violence) et des lanceurs d’alerte, engagés dans des mouvements qui associent de nombreux partenaires (associatifs, juristes, élus …). Ils considèrent essentiel le rôle du juge en ce domaine pour trois raisons :

  1. Le juge ne peut pas différer sa réponse (à l’inverse des parlements qui peuvent toujours différer)
  2. Il s’appuie sur un débat contradictoire et scientifique
  3. Sa décision doit être motivée

Le droit est un ciment de la société. L’Europe a en ce domaine un rôle leader à jouer[1]

Or, s’il existe un droit à l’environnement, si des textes existent, « ça ne marche pas, c’est devenu un droit virtuel ». Pourquoi ?

  • Beaucoup de formalisme de de procédure. En France, on demande leur avis aux gens, mais on n’en tient pas compte ( cf les enquêtes publiques)
  • L’accès au juge s’est restreint récemment en France :
  • Ainsi pour les associations agréées, il faut désormais répondre à des conditions de nombres d’adhérents (or ce sont des associations militantes)
  • En matière d’urbanisme, une association ad hoc ne peut aller en justice sauf à avoir été créée un an avant le dépôt du Permis de construire qu’elle attaque
  • Tout le système est pensé pour décourager le requérant : ainsi la charge de la preuve incombe à la victime. Ainsi il faut démontrer qu’un produit est toxique ET que cette toxicité est la cause d’une maladie. De surcroît, les juges n’ont pas les moyens de financer des expertises coûteuses.

Dans ces conditions, que faire ?

1° Convaincre : faire évoluer le rapport entre les droits et les devoirs (il y a actuellement trop de droits). Il faut être conscient que nous sommes dans un rapport de force entre ceux qui ont intérêt au maintien d’une société fossile (Etats, entreprises pétrolières) et les autres. Pour faire bouger le système, on a besoin des courants de pensées, des religions, de l’opinion publique. Il faut lutter contre les lobbys et l’extension du droit extra territorial américain. A ce titre, C Lepage estime qu’elle est plus utile dans son rôle actuel qu’une députée.

2 °Faire changer les modèles, en attaquant au contentieux (ex Monsanto) et en convainquant les acteurs de la finances et des entreprises (cf la Responsabilité Sociale des Entreprises, les aides financières conditionnées à des progrès écologiques, le changement des indicateurs et de la comptabilité, ( cf Emmanuel Faber et danone) , les Entreprises à Mission…)

3° Recourir au juge le cas échéant.

Dans un document relatif à « Biodiversité, climat et crise sanitaire », Ch Huglo cite deux décisions du Conseil Constitutionnel des 20/12/2019 et 31/01/2020. La première reconnaît implicitement le devoir pour l’Etat de protéger le droit de toute personne à un environnement ; la seconde reconnait que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle « qui peut justifier des « atteintes à la liberté d’entreprendre ».

Mention spéciale est faite du juge européen, en particulier la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). C Lepage cite notamment un arrêt du 1er octobre 2019 qui oblige l’Agence européenne (EFSA) à se référer à des enquêtes publiées.

Mention aussi de l’Arrêt URGENDA de la Cour Suprême Hollandaise. Elle a considéré que l’objectif de réduction des GES fixé par l’Etat hollandais était insuffisant et lui a demandé de la porter de 19 à 25% d’ici 2050.

Le droit comparé devient une matrice qui fait avancer le droit environnemental en donnant lieu à des alliances supra nationales qui associent le climat et la santé, notamment ( cf le procès fictif de Monsanto organisé à La Haye en 2016)

4° S’appuyer sur l’Europe et notamment la Convention d’Aarhus, qui a valeur de droit communautaire et est donc supérieure au droit de chacun des Etats membres. Elle prévoit trois obligations :

  • Information sur l’environnement
  • Participation du public
  • Accès au juge

(La convention d’ESCAZU correspond pour l’Amérique du sud)

Ces trois objectifs sont essentiels. S’ils étaient mis en œuvre, la situation s’améliorerait beaucoup.

Il faut faire appliquer ce qui existe, « pour de vrai ». Il faut également contrôler l’effectivité des mesures prises.

5° Développer des modalités nouvelles de démocratie : plusieurs outils sont évoqués :

  • Les Conférences de consensus (elles améliorent les conditions des Débats publics)
  • La Conférence citoyenne sur le climat :  elle permet de réunir des citoyens tirés au sort, de les former, de leur faire écouter des experts. Cela débouche sur des propositions. Il sera intéressant de voir ce qu’en fera le Président de la République. A noter que le Parlement est absent de ce type de réflexion.
  • Les Chambres représentatives des générations futures ( exemple en Bulgarie). C Lepage précise que François Mitterrand en avait créé une, mais sans suite)
  • Le droit à Pétition (ou autre forme de Référendum d’Initiative Populaire).  Au niveau communautaire, le droit de pétition est ouvert à 1 million de citoyens pour faire examiner un sujet par le parlement européen. En France, il faut actuellement 4,5 millions de signatures (cf ADP). Il existe des projets de modifications mais le projet de réforme constitutionnelle est actuellement en panne)
  • S’appuyer sur les villes (Réseau CGLU, C40…) Le niveau local est essentiel.

6° Créer de nouveaux documents de référence

C Lepage évoque la DUDH ( Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité), lancée en juin 2015 à l’occasion de la COP 21. Elle mentionne 6 droits, 6 devoirs et 4 principes : Responsabilité, Dignité, Pérennité du vivant et Equité générationnelle. Elle est signée par de très nombreuses parties, publiques et privées, personnalités morales et physique.


[1] Cf texte de Philipe VAL « L’Europe avant tout »

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