Interview de Jean-Michel Houllegatte dans le cadre du rapport La crise écologique, une chance pour la démocratie

participants : R Baillet, B du Marais, P Dunoyer, P Obert

Jean-Michel Houllegatte, né en 1958 à Cherbourg dans une famille d’agriculteur, après des études à l’INSA à Lyon puis à Sup de Co, entame à partir de 1995 une carrière politique à Cherbourg. Il succèdera à Bernard Cazeneuve quand ce dernier entrera au Gouvernement et sera réélu. En 2017, il est élu sénateur PS. Depuis l’âge de 18 ans, il est membre du PS sans avoir cherché à y exercer des responsabilités.

L’époque actuelle voit s’imposer la notion d’urgence. Notre civilisation a été confrontée à trois crises depuis l’an 2000 :

  • Le terrorisme
  • Des événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents
  • La crise sanitaire du Covid-19 (prémisses d’autres crises à venir)

La notion d’état d’urgence renvoie à la privation de libertés. D’une certaine façon, s’est mise en place une résilience démocratique pour affronter ces périls.

Face à ces crises, deux voies sont possibles : on mobilise les gens, soit par la peur (avec un affaiblissement de la démocratie), soit par l’enthousiasme et les valeurs (c’est la voie tracée par l’encyclique Laudato Si qui appelle à réenchanter le monde et à modifier ses comportements). La première voie est implicitement évoquée par des jeunes qui reprochent à nos générations la dette, le chômage des jeunes, la crise climatique. Greta Thurnberg peut servir de modèle. Il y a un vrai risque de rupture générationnelle.

Peut-on considérer que la somme des conversions individuelles sera suffisante ? Sans doute pas. IL FAUT UN NOUVEAU PROJET, correspondant à un nouveau système de valeurs, et qui, c’est essentiel, doit recueillir l’acceptation des individus. Pour concilier le social et l’écologie, il est nécessaire de répondre au besoin de reconnaissance des gens et notamment des Invisibles. Il faut mettre en place une Démocratie Implicative. Autrement dit, chacun, quel que soit son âge, son sexe, sa couleur de peau, ses sensibilités, ses revenus, peut participer à la construction de la société. On passe d’une société du plein-emploi à une société de la pleine activité. Il faut faire de chaque individu un ACTEUR de la démocratie. Ca passe sans doute par des petits gestes du quotidien et par le sentiment d’APPARTENANCE.

Pour JMH , il y a trois niveaux

  • Le premier, c’est celui des valeurs. Elles doivent être ancrées dans l’humain. La justice sociale, la reconnaissance de chacun, une démocratie implicative qui responsabilise, une société fraternelle
  • Ensuite, il y a la vision. Nous devons avoir une vision partagée de la société que nous voulons construire ensemble
  • Enfin, il y a la mise en œuvre,

JMH insiste sur les trois échelons géographiques de la mise en œuvre :

  • L’international : Nous avons besoin d’une « diplomatie environnementale ». Les Etats savent ce qu’il faut faire. Malheureusement, la faillite du multilatéralisme correspond à une « Résurgence des empires ». Il faut donc défendre les organismes internationaux qui peuvent décider/contrôler/sanctionner.
  • L’échelon des Etats et de l’Europe. L’UE peut être un vecteur de cohésion, elle peut rebondir.
  • L’échelon local (commune, département, région). On passe d’un ancien modèle (avec des grandes infrastructures, des zones différenciées : travail, résidence…, et de grandes artères de circulation) à un nouveau modèle, beaucoup plus local.  C’est à ce niveau qu’on peut gérer des projets enthousiasmants (gestion des déchets, mobilité, projets informatiques, circuits courts…) et mettre en œuvre cette démocratie implicative.

Pour créer du collectif, il faut s’appuyer sur la démocratie représentative. Elle reste la garante de la démocratie. Mais elle montre ses limites et il faut donc recourir davantage à la société civile.

  • Le Comité Economique Social et Environnemental (CESE) représente une sorte de société civile institutionnalisée. Mais il faut aller plus loin pour libérer la parole. De ce point de vue, la Convention citoyenne sur le climat est une bonne méthode. Elle associe :
  • Le tirage au sort des citoyens
  • Une phase d’appropriation
  • Une méthode de travail
  • La recherche du consensus.

Quels pouvoirs lui donner ? Législatif ? Non. Mais elle pourrait faire des propositions.

On pourrait aussi recourir à davantage de référendums locaux.

Il faudrait aussi revoir les processus de concertation qui existent formellement mais ne fonctionne nt pas bien. Les outils existent mais les gens ne se sentent pas concernés.

JMH souligne trois dimensions : la déconcentration (la crise du covid-19 a valorisé le rôle du département), la décentralisation et la différenciation : la France est riche de sa diversité territoriale. ( cf l’exemple de l’ouverture des plages pendant le déconfinement. La crise du covid-19 a valorisé le rôle du Préfet ( déconcentration) et du conseil général (décentralisation) qui, de fait, ont travaillé ensemble, les régions étant en partie trop éloignées.

Les banlieues sont un sujet sensible. On n’a pas été assez loin dans l’insertion professionnelle des jeunes. L’Apprentissage, qui démarre, doit être soutenu. L’insertion par le sport et la culture est également importante.

Dans l’avenir, il faut avoir des caps en tête, avoir une démarche progressive, négocier et responsabiliser, mobiliser de la recherche et des moyens. In fine, la décision revient aux politiques ( qui ne doivent pas s’abriter derrière des experts). Pour décider, il faut revenir à la question de base : dans quel modèle de société voulons-nous vivre ?

JMH évoque aussi la question de la croissance. Il se reconnaît assez dans la formule de Lionel Jospin qui était «pour une économie de marché, mais contre une société de marché ». La croissance n’est pas à bannir en soi. Elle doit s’inscrire dans un changement de modèle de société. Ainsi des notions comme « les communs », la sobriété, l’économie circulaire deviennent des éléments clés. On s’oriente vers une société centrée sur les usages plus que sur la propriété (même s’il y aura toujours des gens cupides, ce qui montre bien la nécessité d’une conversion intérieure).

La croissance impose des modèles de consommation qui sont véhiculés par les medias ( cf les séries télévisées « institutionnalisent » certains comportements). Il faut veiller à ne pas « uniformiser les cultures »

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