Jean Carassus Le Choc -Révolution industrielle, biosphère, société- L’aube 2019

L’ouvrage est ambitieux car il se veut une approche synthétique  de notre mode de développement. Il se situe dans le droit fil des réflexions d’un Jérémy Rifkin. Le fait que Pierre Veltz ait accepté de signer une longue préface  témoigne du sérieux de la démarche de Jean Carassus. P Veltz ouvre d’ailleurs sa préface par ces mots « Est-il (encore) possible de rendre compatibles nos façons de produire et de vivre avec le maintien d’un état viable de la biosphère ?  C’est la question centrale des décennies qui viennent ».  Je relie aussi cet ouvrage aux réflexions d’Henri Rouillé d’Orfeuil dans son livre « Transition agricole et alimentaire, la revanche des territoires ». Le même souci d’une vision de long terme, la prise en compte  de nombreux facteurs, des options claires, la mise en évidence du rôle des territoires traversent les deux ouvrages.

A cette question vitale posée par P Veltz, Jean Carassus annonce  deux réponses clé et en formule à mon sens trois, assorties d’une mise en garde.

 La première est qu’il est urgent de décarboner massivement nos investissements dans  la production d’électricité, dans l’industrie, dans les transports. Il développe ce point page 107, ce qui passe par la fixation d’un prix du carbone. Il cite ( p 110) l’exemple unique de la Suède qui a un prix du carbone de 139€ la tonne ( En France 44€ en 2018 avec les difficultés qu’on connait pour l’augmenter). Ceci permettra de réorienter radicalement la troisième révolution industrielle. On lira avec intérêt le chapitre 1er consacré aux trois révolutions industrielles. Il souligne que la tendance structurelle du capitalisme n’est pas l’économie de marché mais la recherche de positions monopolistiques par le phénomène de la création destructrice. Il évoque Braudel, les thèses de J Rifkin ( p47 et s) et les analyses de P Veltz ( p 55 et s).

La deuxième réponse est que l’Etat ne sera pas l’acteur essentiel pour piloter le changement des conditions d’habitat, de transport, d’alimentation, de consommation et d’utilisation des infrastructure, mais les territoires. Ceci est développé dans le chapitre 6. A l’Etat de définir (p 128) « un cadre législatif, réglementaire, fiscal, financier ». Il indique p 134 que l’enjeu est de « faire émerger des modes de vie, de production et de consommation en rupture avec le modèle dominant depuis deux cent cinquante ans : sobriété énergétique, efficacité énergétique, abandon progressif des énergies fossiles, développement massif d’énergies renouvelables, préservation des écosystèmes, arrêt du gaspillage des ressources ».

La troisième réponse est qu’il faut cibler les groupes sociaux aisés et les couches moyennes supérieures, qui vivent dans les métropoles et qui génèrent une consommation et des émissions de GES beaucoup plus fortes que les couches moyennes et populaires ( p 134). D’où l’importance des associations des grandes villes du monde (dont le C40) ou Local Government for sustainability. A ce titre, il présente l’étude commandée par la Ville de Paris afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 (p 119). Il analyse par conséquent les grandes conurbations urbaines dans le monde ( p 130 et s). Une dizaine de grandes régions concentrent 40% du PIB mondial et près de 80% de la recherche-développement : deux sont aux Etats-Unis,  L’européenne regroupe Londres/Amsterdam/francfort et Milan en incluant Paris et la Ruhr et la Suisse ; une est au Japon, 3 en Chine et une en Inde.

La mise en garde est formulée p 62 : La troisième révolution industrielle fonctionne très bien avec le charbon. Il précise p 63 «  Le mix électrique de la deuxième révolution industrielle – charbon, gaz, pétrole, nucléaire, hydroélectricité – convient parfaitement aux exigences du numérique de la troisième révolution industrielle ». Il se distingue à ce titre de J Rifkin pour qui la 3ème révolution industrielle est vertueuse avec, comme moteur, le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables ; malheureusement, dans la réalité, la révolution numérique va beaucoup plus vite que la transition énergétique. Il  rappelle en effet le mix énergétique mondial d’énergie primaire début XXIè siècle : 81% pour les énergies fossiles (charbon 27%, pétrole 32%, gaz 22%), nucléaire 5% ; énergies renouvelables 14% ; biomasse 10% ; hydroélectricité 2,5% ; solaire et éolien 1,5%.

Tandis que le mix électrique mondial est : énergies fossiles 65% ( charbon 37% , Gaz 24%, pétrole 4%) ; nucléaire 11% ; énergies renouvelables 24% ( hydro 16%, éolien 4%, biomasse 2%, solaire 1%).

Autant dire que la place des énergies fossiles ne va diminuer que lentement.

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Dans son dernier chapitre, il analyse dix territoires en mouvement qui ne sont pas ces 10 zones majeures. L’intéressent des expériences avec une approche globale. Je retiens notamment l’exemple de Paris ( p142 et s) : les cadres y représentent 29% des actifs, les ouvriers 5% contre respectivement 9% et 14 % pour la France entière. Malgré des résultats significatifs, « un changement beaucoup plus marqué est nécessaire dans les 10 prochaines années ». Il évoque des expériences originales : San Francisco et le zéro déchet ; Copenhague qui vise la neutralité carbone dès 2025 ;  Songdo (en Corée du Sud) qui se veut une ville ultra-connectée : Medellin (en Colombie) qui parie sur l’inclusion sociale, les transports publics et l’innovation ; les Hauts de France qui sont conseillés par J Rifkin. Il consacre un développement sur la Suisse (p161). Chaque habitant dispose en moyenne d’une puissance de 6500 watts (proche de la moyenne européenne/ un américain 12000 watts et un africain 800 watts).  La société civile s’est emparée du débat et   a décidé de viser une société à 2000watts en 2100 afin de tenir les +2% de chaleur d’ici cette date. En 10 ans, la puissance utilisée en moyenne par chaque Suisse est passée de 6500 à 5500 watts. L’action est animée par les villes  et s’insère dans un écosystème qui mobilise tous les acteurs.

 L’écriture est rigoureuse, claire. J Carassus fait montre d’une grande qualité de synthèse.

 On retiendra :

  • L’analyse des 3 révolutions industrielles : Charbon et vapeur ;  pétrole et électricité ; internet et numérique – p 42 et S
  • la diffusion formidable d’internet en Chine – p 48
  • l’analyse des 5 ruptures de Daniel Cohen – p 54
  • la mention des « inégalités de capacité » chères à Amartya Sen – p 87
  • l’historique des mesures prises par la communauté internationale depuis le rapport du Clu de Rome de 1972 ( p 91 à 95 puis 126)
  • l’explication de l’économie circulaire – p 100
  • l’inertie du modèle de production et de consommation depuis 250 ans : emploi massif des énergies fossiles, utilisation de la nature comme ressource a priori inépuisable, économie linéaire : j’extraie, je produis, je consomme, je jette.  – p 101
  • la difficulté de la rénovation du parc de logements – p102
  • L’inflexion des positions des investisseurs –  P 108 avec l’impact de l’article 173 de la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique rendant obligatoire la mesure de l’empreinte carbone des actifs ; Et la Lettre de Larry Fink p 115
  • Son accord avec l’encyclique Laudato Si du pape François ( note en bas de la page 97), qui lie lutte contre le dérèglement climatique et lutte contre la pauvreté.
  • La mention (p 111) qu’on assiste à la fin de la domination de l’Occident et à la généralisation d’un seul système sur l’ensemble de la planète, le système capitaliste. «  Cette domination aura duré 4 siècles ». Il conclut sur « La parenthèse fossile ». je ne peux m’empêcher de saluer cette formulation puisque je  défends l’idée que nous vivons la fin  de la parenthèse de la modernité occidentale, née en Europe au milieu du 17ème siècle quand les hommes ont compris que la « nature s’écrivait en langage mathématique », comme  l’annonça Galilée.

Un excellent ouvrage qui donne beaucoup d’information et qui permet de réfléchir.

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