POINT DE VUE. Vers un modèle bioéthique à la chinoise en France ?

Voici le point de vue signé par Philippe de Roux et Patrice Obert et publié dans Ouest France

Les articles du projet de loi bioéthique, qui sera débattu en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, à partir du 27 juillet, « ne reflètent plus rien du souci d’équilibre déjà minimaliste de la première mouture », estiment Philippe de Roux, entrepreneur social, et Patrice Obert, président des Poissons roses (plateforme de réflexion de chrétiens de gauche).


Les larmes du député En Marche Vincent Thiébaut, père de jumeaux sourds profonds exhortant de « ne pas jouer aux apprentis sorciers », les mises en garde des partis animalistes contre la création d’embryons chimères mêlant des cellules humaines et d’animaux, les alertes des associations prenant soin des personnes en situation de handicap contre l’accélération des dérives eugéniques, les doutes des responsables des Centre de conservation des œufs et du sperme (Cecos) face à l’aggravation de la pénurie de gamètes avec l’élargissement de la PMA à des femmes ne souffrant pas de pathologie, tout cela semble compter pour rien face au rouleau compresseur d’un petit groupe de parlementaires en roue libre, se jouant de toutes les limites.

Pour l’instant, alors que les articles de la loi « bioéthique » votés en deuxième lecture ne reflètent plus rien du souci d’équilibre déjà minimaliste de la première mouture, ni des mises en garde du Sénat, proposant notamment de ne pas rembourser ce qui relève de traitements non thérapeutiques, le gouvernement et l’Élysée sont aux abonnés absents. Compte tenu des enjeux, ce choix politique laisse songeur.

La Chine fait sauter tous les verrous

Alors que la Chine a fait sauter tous les verrous éthiques en la matière, obtenant par la contrainte d’ouvrir la voie aux expérimentations dignes du Meilleur des mondes, la France y court, dans un esprit de suivisme puéril. Et ce, par les chemins d’un débat démocratique anesthésié dans la torpeur estivale, alors que le pays sort à peine d’une crise sanitaire sans précédent, que tous les signaux de la crise sociale sont au rouge et que les Français, on les comprend, ont la tête ailleurs. Pourquoi cette urgence, sinon l’espérance d’un chimérique eldorado ?

Il y a cinquante ans, des prophètes s’étaient levés pour dénoncer l’emprise sur l’environnement d’une technique toute puissante et d’une artificialisation débridée. Des littoraux du golfe de Gascogne aux forêts amazoniennes, le combat fut âpre contre les puissances du béton et de l’argent, parées des atours du progrès et des lendemains qui chantent. Il est loin d’être terminé.

Environnement et bioéthique sont liés

Aujourd’hui, alors que le climat se dérègle dangereusement sur tous les points du globe, nous prenons collectivement conscience de ces démesures, nous réjouissant des quelques signes de bifurcation vers d’autres modèles. Faudra-t-il cinquante ans de plus pour prendre la mesure des dérives de cette même emprise technique sur nos corps, sur les règles structurantes de la filiation, sur la remise en cause de l’interdit absolu de marchandisation des organes ?

Car c’est bien ce dont il s’agit avec cette loi, ferment de puissantes injustices, et sur laquelle, si elle est votée, il sera bien sûr nécessaire de revenir lors de futures législatures. Il ne s’agit pas pour autant de revenir à l’âge des cavernes, comme en sont parfois accusés les lanceurs d’alerte. Mais de discerner pour chaque chemin technique, à quel point il permet un monde plus humain, plus solidaire, sans en faire payer le prix à autrui, en particulier les plus vulnérables.

Environnement hier, bioéthique aujourd’hui, tout est lié par cette même question de la juste place de la technique. Quand l’équilibre est brisé, ce n’est pas un hasard, cela chauffe…

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