Pour un Référendum d’Initiative Citoyenne : une proposition de Cyril DION dans La croix du 11 juillet 2023, afin de faire remonter des propositions d’action pour traiter la crise climatique

Cyril Dion : « Ce qui pose problème au mouvement climat, c’est
l’absence de stratégie 
»
2018 : voilà trois étés que nous ressentons de façon tangible les effets du
changement climatique. En septembre et en octobre, les premières marches pour le
climat inondent les rues des grandes villes françaises. En novembre, les gilets jaunes, le
mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion et les grèves pour le climat
emmenées par Greta Thunberg émergent presque simultanément. En décembre 2018, je
participe à un rapprochement entre le mouvement climat en pleine ébullition et des
groupes de gilets jaunes, avec l’intuition qu’il y a une cause commune impensée.
Cette cause commune, c’est la remise en question d’un modèle de société dont les
indicateurs sont orientés par la priorité de faire croître le PIB et d’augmenter les
richesses matérielles. Un modèle qui traite le monde vivant et un certain nombre
d’humains comme des variables d’ajustement dans un tableur Excel. Début 2019, plus
de 2 millions de Français signent la pétition « L’affaire du siècle » et soutiennent
l’initiative de quatre ONG d’attaquer l’État en justice pour son manque d’ambition.
L’ensemble de ces événements conduisent Emmanuel Macron à nous recevoir,
avec Marion Cotillard, en février. J’y vois une occasion de nous appuyer sur le rapport
des forces en présence pour aboutir enfin à des mesures structurantes. Nous décidons de
pousser l’idée d’une assemblée de citoyens tirés au sort, qui élaborerait un plan pour
nous sortir de l’impasse climatique. À l’époque, j’explique au président de la
République que les mesures qu’il faudrait prendre sont trop impopulaires, qu’elles vont
à l’encontre des milieux économiques dont il est proche et que la seule voie, c’est laisser
la société française s’emparer de la situation, et élaborer des solutions communes. Et ça
marche. Nous en avons eu ensuite la démonstration. Les gens tirés au sort n’y
connaissaient rien, mais nous les avons mis en responsabilité, dans les meilleures
conditions de travail, avec des auditions de scientifiques, d’acteurs du monde
économique, d’experts variés. Et ce collectif fut capable de formuler des propositions
qui vont plus loin que ce que tous les gouvernements ont produit ces 30 dernières
années.
Même si la portée de leurs propositions a été amoindrie par Emmanuel Macron,
qui n’a pas tenu sa promesse de les porter sans filtre au référendum ou au Parlement,
l’exercice a fait la démonstration de la puissance de la délibération collective, de la
démocratie permanente. Lorsqu’une décision fait l’objet d’une délibération, chacun se
sent partie prenante de la décision, et donc plus enclin ensuite à l’appliquer. Alors que
lorsque cette décision est imposée par le haut, même si elle n’est pas mauvaise, il y a de
fortes chances qu’elle se heurte à des oppositions de principe, idéologiques.
Institutionnaliser ce modèle pourrait ressembler à ce que Terra Nova a élaboré
dans une note : le RIC (référendum d’initiative citoyenne) délibératif. Le principe est le
suivant : on donne la possibilité à une partie du corps électoral (un ou deux millions de
personnes) de faire une proposition de loi (ou de s’opposer à une). Celle-ci est
préalablement défrichée par une Assemblée citoyenne tirée au sort, qui débat à ciel
ouvert et formule des propositions, qui sont ensuite soumises à référendum. Pour que ce
système advienne un jour, il faut non seulement trouver des responsables politiques qui
s’en emparent, mais également effectuer un profond travail d’acculturation auprès des
parlementaires. Reste encore une immense frilosité sur le mélange de la démocratie
1 La Croix, 11 07 2023

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parlementaire avec la démocratie directe.
Pourtant nous n’en avons jamais eu tant besoin. Car face à un péril tel que le
changement climatique, l’absence d’espace de dialogue et de délibération tend et risque
de tendre de plus en plus la situation. D’ores et déjà, une frange de plus en plus radicale
de militants écologistes a décidé de pousser plus loin le rapport de force, tandis que le
gouvernement répond par leur criminalisation et, encore trop souvent, par un
déchaînement de violence, dans une forme d’indifférence générale. Car de nombreuses
personnes s’interrogent : pourquoi aller vers tant de radicalité ? Peut-être parce que
depuis des décennies, les activistes de toutes sortes ont le sentiment d’avoir tout tenté
pour alerter les gouvernements. Sans succès. Jusqu’à laisser le climat se dégrader et
s’approcher du point de bascule où il pourrait devenir hors de contrôle.
Désormais, il faut tout faire pour ralentir, voire arrêter le réchauffement et la
destruction des écosystèmes. Mais si l’État n’entend pas, n’agit pas, que reste-t-il
hormis une désobéissance civile qui peut passer par des occupations, des désarmements
ou des sabotages ? Dans « Comment saboter un pipeline », l’universitaire suédois
Andreas Malm s’interroge : Qu’est-ce qui est le plus violent ? Saboter un pipeline ou le
construire, tout en sachant les conséquences tangibles qu’il aura sur des millions de vies
humaines ? On peut raisonnablement s’accorder sur le fait que construire des pipelines
est aujourd’hui bien plus grave que de les saboter. Mais ce ne sont là que des actions de
résistance auxquelles il faut adjoindre des transformations systémiques. Et pour y
parvenir nous avons besoin de plus de démocratie, comme je l’évoquais précédemment.
Je ne crois ni à la voie autoritaire, ni à la révolution.
Ces transformations systémiques (comme la fin de la monarchie, de l’esclavage,
de la ségrégation…) interviennent souvent lorsque trois éléments entrent en
conjonction : l’émergence de nouveaux récits (de nouvelles façons d’envisager
l’organisation de la société), des rapports de force (manifestations, désobéissance civile,
actions en justice, combats politiques, etc.) et des circonstances historiques qui viennent
catalyser les deux premiers éléments. Il aura par exemple fallu l’émergence d’une
pensée féministe, le combat des suffragettes et la Première Guerre mondiale pour
parvenir au droit de vote des femmes au Royaume-Uni.
Construire un monde véritablement soutenable demande une bascule à la même
mesure. Ainsi, nous avons besoin de personnes qui inventent de nouvelles façons
d’organiser l’économie pour subvenir aux besoins humains tout en respectant les limites
planétaires, de nouveaux récits de l’agriculture, de l’urbanisme, de la démocratie. Mais
nous avons également besoin d’instaurer des rapports de force : au parlement, dans la
rue, dans les champs, dans les tribunaux, face aux méga-bassines… Mais ces actions
n’auront de sens que si elles s’inscrivent dans des coalitions qui ont des stratégies, avec
un objectif commun et des modes d’action qui se complètent.
Pour le moment, le mouvement climat manque cruellement de cette stratégie : où
veut-on aller, à quoi veut-on aboutir ? Le capitalisme, lui, se maintient grâce à une
organisation très puissante. Nous devons parvenir au même degré de professionnalisme,
avec des lobbyistes d’intérêt général qui ferraillent sur les législations clés. J’ai la
certitude que ces modes d’action multiples vont être catalysés par la circonstance
historique très puissante du changement climatique. Plus les conséquences du
changement climatique seront douloureuses, plus des alternatives fleuriront et plus des
personnes se rebelleront. Tout ceci se produira, mais bien tard. Et, espérons-le, pas trop
tard.

credit photo allocine.fr

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