Rapport sur les Invisibles de la REPUBLIQUE

Rapport sur les Invisibles de la REPUBLIQUE

( en attendant la publication au Cerf, prévue début 2021)

Fin 2018, avant le déclenchement du mouvement des Gilets Jaunes, les Poissons Roses ont décidé de lancer un groupe de travail sur « les Invisibles », dont l’animation a été confiée à Michel Simonnet. Leur rapport a été rédigé avant que se déclare la pandémie du Coronavirus. La publication aux éditions du Cerf, prévue en mai 2020, a du coup été reportée au 1er semestre 2021.  Il nous apparaît toutefois nécessaire, en attendant la publication du Rapport, d’en donner dès maintenant un premier aperçu.

Il aura fallu la crise exceptionnelle et imprévue du Covid-19 pour faire surgir de l’ombre une partie des invisibles. Notre survie dépend des aides-soignantes, des infirmiers, des caissiers et caissières, des routiers, des manutentionnaires, etc… Autrement dit, du 1er front formé par le monde soignant et du second front constitué des « héros du quotidien ». Subitement, ils accèdent à la lumière sociale et à la reconnaissance. Leur travail est reconnu comme vital par la société alors qu’elle les méprisait. Mais ces « nouveaux visibles » sont loin d’épuiser les « Invisibles » que nous avons identifiés.

L’invisibilité dans notre société « liquide », terme emprunté à Zygmunt Bauman, est la traduction concrète de la disparition des structures traditionnelles, la famille, les partis, les syndicats, les églises, les associations. Elles sont progressivement devenues inutiles. Leur rôle protecteur a été transféré à des services spécialisés de l’État. Chaque personne, pardon, chaque individu se retrouve dans un monde abstrait, souvent informatisé et incompréhensible.

Notre enquête interroge les limites de l’État-Providence. Ce dernier protège certes mais, dans le même temps, isole et conduit à l’apparition d’une société nouvelle. La fameuse lutte entre deux classes antagonistes a cessé faute de combattants. L’invisibilité est l’expression d’un nouveau rapport de force politique. La lutte politique devient souterraine, à l’abri des rites et forums traditionnels. Elle se déploie sur les réseaux sociaux qui permettent d’exprimer de nouveaux besoins de respect, de dignité, de reconnaissance. De nouveaux besoins apparaissent. La crise du covid-19 confirme ainsi notre diagnostic et conforte les propositions que nous avons formulées.

Nous vous livrons ci-dessous la synthèse courte de notre Rapport. Vous y découvrirez notre définition de l’Invisibilité et nos trois propositions.

Rendez-vous au 1er semestre pour sa publication intégrale.

SYNTHÈSE COURTE

Le mouvement des Gilets Jaunes a mis en avant une notion qui flottait dans l’air depuis peu, celle des Invisibles. Des enquêtes, un film, des livres leur ont été consacrés. Ils restent pourtant mystérieux, d’autant plus que les Invisibles ne se donnent à voir qu’au moment où …ils deviennent visibles.

Le groupe de travail mis en place par les Poissons Roses s’est attaché à démontrer combien cette notion révolutionne notre approche des rapports politiques au sein d’une société qui, bien que toujours ancrée dans l’État-Providence, bascule inéluctablement dans la société liquide décrite par Zygmunt Bauman.

Est ainsi invisible toute personne qui ne se sent pas reconnue et en souffre, tout groupe qui n’est pas reconnu dans l’espace public, quand bien même il serait composé de personnes « visibles ». Les Invisibles recoupent trois catégories : les « isolés », qu’on peut appeler « les sans » ; les « exclus de l’État-Providence ; les « discriminés », sachant que chacun de nous, à un moment de sa vie, peut se sentir « invisible ».

L’invisibilité porte trois conséquences : elle est un outil inattendu du maintien du statu quo politique et de la paix sociale ; elle débouche sur une nouvelle souffrance qui exige de l’écoute ; elle nous enjoint de recréer du lien.

D’où nos trois propositions :

  1. Que chacun, où qu’il soit, se sente prêt à participer à des approches « communautalistes ». La réinvention de l’ancrage territorial et de la collaboration entre les personnes est seule susceptible de faire émerger une fraternité qui manque aux habitants de ce pays.
  2. En finir avec l’aide sociale industrialisée et favoriser un accompagnement personnalisé des personnes en investissant dans la formation d’Accompagnateurs de haut niveau. Trop d’argent se dilue dans des normes insatisfaisantes. Seul l’accompagnement personnel peut nous sauver d’un monde devenu trop complexe et impersonnel.
  3. Accompagner l’évolution de nos pratiques politiques pour approfondir notre démocratie. Ceci suppose plusieurs innovations : la classe politique doit investir les réseaux sociaux où domine désormais la nouvelle élite des « influenceurs » ; il faut prendre acte de la disparition programmée de l’État-Providence ; l’opposition politique doit trouver sa place dans notre vie démocratique ; enfin il est peut-être temps d’inventer une nouvelle école/université populaire pour faire la pédagogie de ces transformations.

Ces trois propositions n’étonneront pas, venant des Poissons Roses, plateforme de chrétiens, à gauche, dont la réflexion se fonde sur le personnalisme communautaire d’Emmanuel Mounier et le christianisme social imprégné par la Doctrine sociale de l’église.

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