Recension de Le premier XXIème siècle de Jean-Marie Guéhenno, par Patrice Obert

Flammarion 2021.

 J’ai entendu JM Guehenno au micro de Nicolas Demorand un matin sur France-Inter. C’était si intéressant que j’ai acheté son livre. Honnêtement, j’ai été déçu. Je m’explique. Je suis toujours très attentif à la structure d’un ouvrage. Ici, on est face à 10 chapitres. Difficile, en lisant la table des matières, de saisir la pensée de l’auteur, la thèse qu’il veut développer. D’autant que, lecture faite, le titre reste sibyllin. « Le premier XXIème siècle » … Sauf erreur de ma part, jamais le titre n’est expliqué, ni il n’est question d’un second XXIème siècle. C’est un peu ennuyeux.

 En réalité, on peut regrouper ces chapitres en trois parties.

La première partie s’appellerait Les raisons de la crise. Elle engloberait les deux premiers chapitres. C’est le cœur de la thèse (ce dont l’auteur a parlé à France-Inter). Nous avons cru que 1989, avec la chute du mur de Berlin, signifiait la victoire du camp occidental, nous nous sommes trompés lourdement, il ne s’agissait que de l’implosion du bloc soviétique.  Ainsi, l’individu est devenu notre référence absolue, coupé de toute attache (famille, entreprise, territoire). Il est devenu notre perte.

La deuxième partie traiterait des Manifestations de cette crise. Elle engloberait les chapitres 3 à 7.  En réalité, ces manifestations sont ici limitées à l’évolution de la politique (ch 3 et 4) à l’impact des technologies ( ch 5 et 6) et à un grand chapitre sur la guerre, le terrorisme, un peu fourre-tout.

La troisième partie engloberait les trois derniers chapitres, étant entendu que le chapitre 8 sert juste d’introduction aux deux suivants en identifiant deux grandes expérimentations politiques que l’auteur nous livre comme la clé de l’avenir : renouveler la démocratie et l’Europe. On croit comprendre que ses solutions sont la reconstruction des mouvements politiques (p 269 et s) et la construction d’une Europe « hybride (p 320).   C’est un peu court.

Ce livre est celui d’un honnête homme du XXIème siècle, cultivé, ayant beaucoup lu et réfléchi, après avoir occupé des fonctions importantes. Le manque de rigueur dans la construction rejoint le souhait de l’auteur de refaire l’historique de chaque question. Voilà comment on parvient à 350 pages sans avoir vraiment compris où l’auteur veut nous emmener et en ayant eu le sentiment de lire beaucoup de choses déjà connues.

Le propos se veut trop global mais, ce faisant, reste partiel, sans aller profondément dans les pistes. Chacun trouvera toutefois des passages intéressants.  Pour ma part, j’en retiens trois.

  • Le premier porte sur le bonheur (p 77 et 78). Peut-être est-il plus important, comme le notait Benjamin Constant, « d’agrandir son esprit » que de vouloir à tout prix être heureux.
  • Le deuxième tient à l’analyse de l’impasse de la social-démocratie (p 88 à 97) avec la distinction, face à un problème, de la réponse éthique et de la réponse politique. S’appuyant sur l’Etat, la gauche est, depuis la chute du communisme, mal à l’aise pour s’opposer à l’idéologie du marché. Par ailleurs, elle ne sait plus comment concilier son universalisme éthique avec la défense des travailleurs d’un pays. « La mondialisation a miné sa posture morale, la transformation du travail mine sa base sociologique, et l’effondrement du communisme a discrédité l’ambition d’une gestion scientifique de la société… Son programme politique s’est peu à peu limité à raboter les aspérités du capitalisme » (p 95/96).
  • Le troisième est l’analyse de la compétition entre la Chine et l’Occident. L’auteur juge qu’il ne s’agira pas d’une lutte entre un système qui écrase les libertés et un autre qui les protège, mais plutôt entre deux méthodes pour gérer les émotions et les désirs de citoyens ravalés au statut de consommateurs (p 193).

crédit photo franceculture.fr

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