Interview de Dominique Bourg dans le cadre du rapport La crise écologique, une chance pour la démocratie

Participants : Roland Baillet, Patrice Dunoyer de Segonzac, Michel Simonnet, Bertrand du Marais, Patrice Obert

Retraité depuis un an, Dominique Bourg, philosophe, est professeur honoraire de l’université de Lausanne. Il a publié de nombreux ouvrages. Il poursuit des travaux d’écriture, est directeur de plusieurs collections aux PUF ainsi que de la revue en ligne La pensée écologique.

Il a été tête de liste de la liste Urgence Ecologie lors des dernières élections européennes.

Il a récemment co-signé au PUF un livre intitulé « Retour sur terre – 35 propositions »

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 Pour D Bourg, il y a une tendance de fond et un défi immédiat.

La tendance de fond est la lente mais irréversible prise de conscience que nous sortons du paradigme mécaniste qui s’est mis en place à la fin du XVIème siècle et selon lequel l’Homme était étranger à la nature, pur agrégat de particules matérielles sana pensée ni intériorité, et appelé (en référence à Genèse 1, 26-28) à la dominer. Cette civilisation analytique, raisonnant en silo, montre chaque jour davantage ses limites. L’horizon du changement est engagé. On perçoit une évolution lente des idées. Personne ne pilote cette transformation, ni ne la dirige.

Le défi immédiat nous est donné par les rapports du GIEC et de l’IPBES. La donne matérielle doit être changée. Est-ce 10 ans, comme écrit dans Retour sur Terre ? La réalité, c’est qu’il y a urgence.

Nous sommes dans un étau : sommés de faire face à une situation matérielle très grave alors même que le changement des idées est très lent, même s’il s’accélère. Dans ces conditions, la démocratie est-elle capable de relever ce défi majeur ? D Bourg répond : « les années à venir vont nous l’apprendre ». Comment en effet prendre des mesures nécessaires et difficiles dont les effets ne vont pas se faire sentir immédiatement, tandis que la dégradation va se poursuivre avec des effets largement postérieurs aux causes (de 20 à  30 ans pour le climat) ? Personne ne sait répondre à cette question, même si les consciences évoluent très vite.

Ainsi, une étude, menée par Philippe Moatti à l’automne dernier et réitérée après la diffusion du covid-19, a montré des évolutions significatives parmi les trois courants suivants :

  • La tendance techno-libérale (qui voit dans le progrès technique la solution des problèmes et à terme mise sur le transhumanisme) passe de 16 à 14 % des opinions en quelques mois
  • La tendance sécuritaire reste stable à 30 %
  • La tendance à accepter un horizon de sobriété, c’est-à-dire une réduction des flux de matière et d’énergie, atteint désormais les 55 % de la population

 Nos démocraties fonctionnent mal. En attestent notamment le déficit de participation aux élections, le problème du financement des campagnes. On constate une véritable dysreprésentation du parlement. C’est-à-dire que le parlement, par sa composition, est très éloigné de la sociologie du pays.  La représentation a deux aspects :

  • le premier est d’assurer une adéquation relative entre l’assemblée élue et le peuple
  • le second est de permettre l’expression de la volonté nationale.

Aujourd’hui le premier n’est plus assuré (cf. son livre « Pour une VIème république écologique », Odile Jacob 2011). A cet égard, la CCC (Convention Citoyenne pour le Climat) est intéressante. Elle montre que des citoyens après information sont capables de formuler des propositions bien différentes que celles du parlement. La CCC n’a pas de pouvoir décisionnel, les membres ont été choisis par hasard mais selon une formule assurant une sorte de photographie de la France ; le degré de formation des membres était assez statistiquement identique à celui des Français. C’est une démarche à approfondir. Aujourd’hui, une minorité gouverne.

Nous sommes par ailleurs confrontés à un grave problème d’information et d’éducation.  Nous vivons en effet une situation avec des enfermements des populations dans des niches informationnelles. Par le passé (il y a trente ans), la presse permettait à chacun de se construire une opinion) à partir d’un « commun partagé ». De nos jours, le paysage de l’information est très fragmenté. Chacun écoute ce qui lui plaît. La parole des experts est remise en cause. D’une certaine façon, les gens n’habitent plus sur la même planète. A titre d’illustration, 16 % des américains croient que la Terre est plate. Que faire face à cette fragmentation ? Sujet difficile.

D’autant que trop informer peut conduire à des phénomènes de peur, de panique. La peur est positive quand elle enclenche un sursaut. Mais elle peut conduire à des scénarios simplistes

Une des questions est : comment faire intérioriser les contraintes par les gens ?

Il existe un débat intéressant entre taxe et quota.  L’exemple de la taxe carbone est intéressant. Le Gouvernement avait été averti des risques (débat public sur la PPE). D Bourg précise que cette taxe était portée par Nicolas Hulot ; lui-même parlait plutôt d’une contribution énergie (voire proposition FNH Grenelle de l’environnement !), à visée redistributive.  La taxe frappe tout le monde donc beaucoup plus fortement les populations pauvres et les précaires énergétiques. Le quota (qui pourrait porter dans un premier temps sur le carbone uniquement, quitte à être diversifié ultérieurement) touche davantage les riches (sous réserve qu’ils ne soient pas autorisés à racheter les quotas des plus pauvres). En ce sens, le quota, bien expliqué, peut créer une acceptabilité. (D Bourg signale au passage que, durant la seconde guerre mondiale, le système de rationnement alimentaire anglais, très égalitaire, avait contribué à forger le sentiment national de résistance).  Différentes sortes de quotas pourraient être envisagées :

  • Sur les dépenses individuelles
  • Sur les dépenses professionnelles
  • Sur les dépenses collectives (collectivités territoriales)

Ainsi que

  • Des quotas annuels (introduits sur la puce de la carte bancaire)
  • Des quotas de vie (bâti, certains équipements)

Il faut toutefois avoir conscience que les quotas peuvent être très intrusifs dans la vie personnelle. (Cf la thèse de Natacha Gondran)

Par ailleurs, les quotas permettent seuls de contrôler effectivement les Flux finaux.

Faudrait-il envisager une TVA Carbone ? La question reste ouverte.

Sur les territoires :

La crise écologique interroge le devenir des métropoles qui étaient jusqu’à présent vues comme des territoires moteurs, recueillant beaucoup de richesses, et des villes denses, compatibles avec les contraintes écologiques. Si la température devait s’élever de 2 degrés à compter de 2040 (par rapport à fin 19e), on aurait des maxima possibles à 50 degrés à Paris (43° en région parisienne en juillet 2019), qui deviendrait invivable. Sachant en outre qu’entre 40 et 45 degrés, les plantes n’assurent plus la photosynthèse. Il faut associer Densification et Végétalisation, ce qui aura un impact sur les infrastructures urbaines.

Les villes, les territoires pourraient contractualiser avec les industriels, les acteurs économiques locaux. Certaines parties de la population peuvent aller plus vite et donner envie. Il convient donc de donner un pouvoir d’initiative aux territoires.

En conclusion, et en réponse à nos questions, Dominique Bourg, se référant à son ouvrage Une Nouvelle Terre (DDB), nous indique que toute société promeut un mode de valorisation de soi. Le christianisme proposait le Salut. Les sociétés bouddhistes invitent à l’Eveil. La civilisation occidentale, marquée par le paradigme mécaniste, a acté la fin des finalités transcendantes en rejetant Dieu comme fondement de la société. A la volonté divine, s’est substituée la volonté générale incarnée par le contrat social. Ce qui dirige ce modèle, c’est la consommation, permettant d’accéder aux biens et aux patrimoines, synonymes d’une atteinte du bonheur par l’abondance. « Consumons le Monde » reste encore notre devise invisible. Dans ces conditions, il est évident que l’effort à réaliser est essentiellement spirituel.

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