Interview de Jean Carassus dans le cadre du rapport La crise écologique, une chance pour la démocratie

Participants : Roland Baillet,  Patrice Obert, Michel Simonnet, Martin, Dousseau, Bernard Deslandres

Jean Carassus a été chef du bureau de l’économie de la construction au ministère de l’Equipement, directeur du patrimoine à Logement Français (filiale logement social d’AXA), directeur du département Economie et Sciences Humaines du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB). Il est également professeur à l’Ecole des Ponts et Chaussées où il anime un mastère spécialisé pour cadres sur « Immobilier et Bâtiment Durables / Transitions énergétique et numérique »

Il a publié en 2019 un livre « LE CHOC » (cf la fiche de lecture de ce livre) où il s’intéresse aux rapports entre révolutions industrielles, biosphère et société.

Son site :  www. immobilierdurable.eu

Point de départ

  1. Le mix énergétique mondial fait apparaître que 81% relève des énergies fossiles (et c’est stable). La révolution digitale fonctionne avec le charbon. Le digital a besoin d’électricité, d’où qu’elle vienne ( gaz, charbon, schistes, nucléaire, hydroélectricité…)
  2. Le fossile en lui-même fonctionne très bien et il n’y a pas pour l’instant de grandes révolutions technologiques dans l’énergie. JC attire l’attention sur le fait que le gaz, même naturel, reste une énergie fossile.

La 3ème révolution industrielle, que nous vivons, repose sur les énergies fossiles et la conviction que la nature est inépuisable et gratuite

Il y a un choc avec la biosphère : via le climat (GIEC), la chute de la bio-diversité, la fin des ressources naturelles (dont l’eau, l’air). Pour lui, la Biosphère, c’est la vie, c’est l’articulation des systèmes vivants.

Il y a un choc avec la société. Lui, le non-croyant, souligne l’intelligence de l’encyclique Laudato Si qui  articule Ecologie/société et Ecologie/pauvreté.

La 1ère révolution industrielle a augmenté les inégalités au 19ème siècle.

La 1ère Guerre mondiale, la crise de 29, la 2ème guerre mondiale sont contemporaines de la Seconde Révolution industrielle. Les inégalités diminuent avec la destruction du capital. Avec la social-démocratie, on a assisté à une stabilisation, et même diminution des inégalités, avec redistribution des ressources. Les inégalités ont donc diminué durant la 2ème révolution industrielle.

Par contre, la 3ème Révolution industrielle recrée des inégalités (1980 et s). Or la France reste un pays assez égalitaire ( cf Indice de Gini). A ce propos, il trouve les thèses de Thomas Piketty très intéressantes mais, selon lui, Piketty axe trop sa étude sur l’argent (pour Amartya SEN ( Prix Nobel d’économie 1998), les vraies inégalités sont «  de capacité »)  et sur le centile (le 1%) le plus riche. Pour JC, il faut considérer les 20% les plus aisés.

Quelles solutions ?

D’abord, agir sur les modes de production. L’entrée carbone est la bonne car elle permet de mesurer l’empreinte carbone de l’investissement et de sa gestion : c’est Mesurable, Vérifiable, Reportable (s’inscrivant dans des rapports annuels qui engagent les responsables).

En s’adressant aux décideurs et aux couches sociales supérieures.

Changer les modes de production dans le logement, le plastique, voiture, agriculture, service…

Une idée : faire entrer comme critère dans la rémunération des managers le niveau de consommation de CO2 de l’activité qu’il pilote ( cf Danone)

Ensuite changer radicalement les modes de vie. Nous avons un mode de vie carboné.  JC renvoie à l’exemple de la SUISSE (cf la fiche de lecture) qui a décidé de passer d’ici 2050 d’une puissance individuelle de 6000 Watts par habitant/an à 2000 Watts. Cinq thèmes :

  1. L’alimentation
  2. L’habitat
  3. La mobilité
  4. La consommation
  5. L’utilisation des infrastructures (écoles, bureaux, hôpitaux)

L’analyse converge avec les thèmes traités par le MTES et par la Convention citoyenne pour le Climat.

Il existe un lien direct entre le pouvoir d’achat et le carbone. Ce sont les 20% les plus aisés qui peuvent changer le monde. Les 20% les plus aisés émettent 10T/pers/an, les 20% les moins aisés # 3,5 T/pers/an

Au lieu de parler de manière indifférenciée de couches moyennes, il est préférable selon lui de distinger classes aisées, classes moyennes supérieures, classes moyennes inférieures, classes populaires.

 Autrement dit, il faut que nous soyons heureux avec ce que nous consommions en 1960. Ce qui implique sobriété et baisse radicale de notre consommation d’énergie et de carbone.

Ou comment avoir un mode de vie sympa et préserver l’avenir de nos enfants

Comment consommer moins sans être pauvre ? En consommant différemment (et moins).

Qui peut décider ces changements ?

I/ L’INSTITUTION

Il y a deux moteurs :

 Le moteur européen : c’est le premier continent à vouloir être neutre en carbone en 2050. Avec des objectifs sectoriels.

Le moteur territorial : de plus en plus de territoires s’engagent Paris, Ile de France, La Rochelle…

 ET L’Etat ?  il a à édicter des normes et à être facilitateur via :

  • La fiscalité
  • La réglementation
  • l’attention aux initiatives citoyennes

II/ L’ALIGNEMENT DES PLANETES

 5 niveaux d’intervention doivent agir dans le même sens :

L’Europe / Les territoires / Les entreprises (chefs d’entreprise et syndicats) / Les associations (dont ONG) / Les citoyens

Le processus sera celui de la destruction/création décrit par Schumpeter. La transition crée actuellement plus d’emplois qu’elle n’en détruit, mais pour le climat, la biodiversité, les ressources, la destruction l’emporte sur la création.

Pour la France, on a des émissions de carbone à 6 tonnes de CO2/an/pers. Mais son empreinte (avec les importations) est à 11 tonnes. Ça baisse peu.

La difficulté est qu’il n’y a pas de pilote, mais des responsables. On a à faire à un système homéostatique. IL faut œuvrer à l’alignement des planètes, c’est à dire des consciences pour avoir des actions qui iront dans le même sens à tous les niveaux.

A ce titre, la coercition ne marchera pas car on ne change pas une société par décret mais par la conviction.

Il faut que les gens deviennent durables ET citoyens.

Il faut repenser la démocratie (cf Rosanvallon avec la démocratie interactive/ d’exercice/ d’appropriation/ de confiance) cf son livre « Le siècle du populisme ».

(cf aussi A contre Courant et les thèses que nous avons reprises à Jo Spiegel).

La démocratie doit être renouvelée pour d’abord lutter contre les populismes et, en même temps mener la révolution climatique

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